Survivant de la purge de l’ultime fantaisie des développeurs de Final Fantasy XV en matière de développements additionnels, l’Épisode d’Ardyn devenait alors l’héritier des ambitions démesurément maladroites d’un studio peinant à montrer la maîtrise de son projet, et de l’objectif de clarification des zones d’ombres prioritaires : celles des motivation de l’antagoniste, moteur principal de l’intrigue.

Bien fou aurait été celui à s’attendre à une fin en apothéose, ciselée comme jamais. Mais dignes étaient les attentes concentrées autour de la maturité des développeurs en termes de narration et des atours ludiques associés, et à l’image du destin du Roi déchu, dure est la chute.

Épisode d'Ardyn — La fin du cirque

Final Fantasy XV : Épisode d’Ardyn


Date de sortie : 26 mars 2019
Développeur : Luminous Productions
Plateformes : PlayStation 4, Xbox One, PC
Prix : 10€

 

La fin du début

Après avoir proposé Kingsglaive: Final Fantasy XV en complément de Final Fantasy XV, notamment pour développer l’ancienne introduction du projet (l’invasion de la patrie de Noctis Lucis Caelum, point de départ de l’épopée), Luminous Productions/Business Division 2 a divisé ce nouvel épisode en deux parties : une introduction sous forme de court-métrage d’animation et le contenu jouable.

L’exposition ainsi évacuée dans le dessin-animé en ce qui concerne les détails inédits (le passé d’Ardyn et de Somnus, le jour de la trahison, les origines de la haine du frère aîné, l’existence d’Aera Mirus Fleuret etc.), il n’y avait plus qu’à dérouler le tapis menant à l’histoire concrète de Final Fantasy XV. De la libération d’Adagium (un des surnoms d’Ardyn, ressorti des limbes des brouillons de production, sans que ce terme n’ait de sens particulier de l’aveu même des concepteurs), à ses liens avec l’empire de Niflheim, en passant par ses troubles existentiels jusqu’à l’amorce du pourquoi le chancelier impérial doit attendre l’avènement du Roi de la lumière pour satisfaire les desseins divins et les siens par la même occasion : il faut l’accorder aux développeurs, l’essentiel est brassé.

Pourtant, à l’image du dessin-animé, essentiel sur le papier ne signifie pas pertinent pour autant sur le produit fini… ce qui est d’autant plus vrai en ce qui concerne l’aspect « jeu ».

La faim sans les moyens

Si un certain plaisir de jeu est indéniable aux commandes d’Ardyn tant ce dernier se meut avec vitesse et légèreté sur le champ de bataille et de toits en toits, la chapeau tombe bien vite. Derrière les premières impressions et les apparences, le faible contenu et la répétitivité harassante des objectifs transparaissent bien vite.

Pire encore, une surcouche ludique inappropriée a vite fait d’achever le tableau peu glorieux de la proposition. La lourdeur d’un mode « danger » lorsque le prince déchu entre dans une transe démoniaque à l’intérêt des plus légers si ce n’est pour simuler un sentiment de défi, l’option superflue d’un « fusil de précision », le sempiternel souci d’équilibre causé par les consommables (et le surconfort qu’ils apportent), des améliorations pour feindre la montée en puissance, ou encore un sort de zone dont l’usage brillera plus pour le bel effet visuel qui change de la routine à l’épée que pour son intérêt stratégique : autant d’artifices pour un spectacle au charme très modéré finalement.

L’enfer au paradis

En parlant de charme, si les quelques quartiers d’Insomnia visitables sont proprement modélisés, ils accusent un manque flagrant de personnalité. C’est quelque chose que le film Kingsglaive, dont le principal théâtre est cette même cité, avait réussi à outrepasser. Lieu de mixité architecturale et culturelle, représentée selon des modalités variées (quartiers populaires/palais royal, temps de paix/temps de guerre, jour/nuit, temps sec/pluvieux), Insomnia vivait au rythme du film incarnant une sorte d’entité personnifiée. Dans l’Épisode d’Ardyn, la cité n’est qu’une coquille vide répondant aux fantasmes de certains joueurs malavisés qui reportaient une partie de leurs griefs à l’encontre du jeu principal sur la frustration de ne pouvoir arpenter les rues de la capitale en temps de « paix » et en pleine journée. Malheureux de devoir se contenter de la glorieuse cité en ruines lors des dernières heures, pourtant tout à fait à propos, les vociférations auront donné à moitié vie à ce souhait.

Grâce et disgrâce des rois

Si on profite çà et là de quelques moments de grâce, notamment du fait du sens de l’humour du bouffon impérial (les pauses sur les bancs, les commentaires désinvoltes pendant un meurtre) alors qu’il cède aux affres de la folie, c’est malheureusement aussi l’expression de sa décadence, vu et revue, qui gêne.

Semer le chaos dans Insomnia se limite à affronter des petits groupes de soldats inoffensifs, à désactiver des dispositifs de défense (le niveau 0 du jeu vidéo) et à détruire des décorations commémoratives de la fondation du royaume pour marquer un maximum de points. Un système de scoring là aussi en surcouche et tout à fait superflu comme pour justifier l’aspect très arcade, très décomplexé, très simple (et aussi très idiot) du jeu. Tout comme Ardyn s’aliène, le joueur enchaîne sans réfléchir les actions, jusqu’à ce qu’on lui propose un énième choix sans conséquence en conclusion. Le réalisateur justifie ce dernier artifice qui souligne la cruauté du destin inflexible qui s’abat sur Ardyn, mais d’une il faudrait penser à défendre ces autres artifices ludiques stériles, et de deux difficile d’adhérer à la démarche sachant qu’une trame alternative où tout finirait bien est en cours de rédaction, rendant presque caduque le dénouement canonique.

S’il est louable de désirer montrer (et non plus seulement dire) l’inéluctabilité d’un destin tracé par le divin (les restes de Fabula Nova Crystallis sont plus qu’évidents), et encore plus de confronter des idéaux aussi nobles les uns que les autres (la légitimité de la quête de Noctis est indéniable, tout comme celle d’Ardyn, et celle des maîtres du monde par la même occasion dont le seul objectif est la préservation de la Création), pourquoi s’acharner à démonter un édifice déjà bien fragile ?

À trop vouloir justifier ce qui ne pouvait presque plus l’être, difficile de croire au raisonnement défendu ici. Ardyn est quasi-omniscient grâce à un grossier tour de passe-passe, quasi-omnipotent pour les mêmes raisons, sciemment manipulé et manipulateur content ; à la surcouche ludique s’ajoute une surcouche narrative qui renforce la sensation d’imposture qui ne cesse de planer sur l’âme de ce contenu. Après tout, avec le départ du grand chef et l’impression de désaveu par les officiels qui ont fait annuler un certain nombre de projets dont 3 extensions de FFXV, il n’y avait probablement plus véritablement de raisons d’entretenir un navire qui malgré ses rustines a su naviguer grâce à la force de l’abnégation jusqu’à s’échouer poliment sur les rivages d’une certaine indifférence.

Échouage, échec : folies finales

Episode Ardyn — Prologue avait réussi en quelques petites minutes à offrir un nouveau regard sur le passé nébuleux et les motivations du personnage, laissant alors le champ libre aux scénaristes pour montrer sa folie naissante. Et si quelques détails sont tout à fait fonctionnels, à l’image des gros plans sur les animations faciales réussies du rouquin pour illustrer les grands moments de désarroi, là aussi la répétitivité et la fadeur de la mise en scène (couplée à des artifices ludiques QTE-iques dépassés) sont à l’image du reste : sans ambition, trop verbeux, trop confus.

Épisode d'Ardyn — La fin du cirque

La confusion est aussi due au découpage chapitré de cette courte péripétie, faite d’allers-retours dans le temps. Trois chapitres, dont un dédié au réveil et à une leçon d’Histoire-géographie où la passivité est reine. Suivant le degré d’attachement à l’univers de FFXV (qui aura donné jusqu’au bout l’impression de n’avoir jamais été vraiment figé), cette séance de lecture aura plus ou moins d’impact sur le joueur qui n’attend que de pouvoir semer le chaos, et ainsi de devenir acteur du malheur qui affligera le héros de l’épopée principale. C’est au moins une vertu indéniable qui accompagne le concept de l’incarnation d’un antagoniste : placer le joueur dans une situation paradoxale où il joue à la fois le rôle du gentil et du vilain. Ainsi, si la narration ou des dialogues globalement affligeants de banalité ont bien du mal à donner de la crédibilité aux enjeux, l’idée de renverser la table en inversant les rôles tant sur le plan narratif (Ardyn n’est pas foncièrement mauvais, la dynastie du Lucis s’appuie sur d’odieuses manipulations) que ludique (incarner Ardyn dont le point de vue justifie le déferlement de haine) reste efficace.

Il est dommage que les événements soient expédiés telle une épée jetée au loin lors d’un assaut éclipse. L’écriture n’aidant donc pas à s’immerger dans ce conte noir, de vengeance et d’épées. La fameuse lecture fastidieuse d’archives et d’ultimes ajustements à l’univers, en plus de la surcouche narrative dénoncée plus haut, donnent l’impression de parcourir une fanfiction qui cherche de la légitimité dans la surabondance de détails actualisés avec la nouvelle trame plus que dans l’établissement d’une histoire concrète et fiable pour le joueur vétéran ainsi que pour celui qui aurait plus de souci à entrer dans le monde de FFXV. L’un des objectifs derrière la poursuite de l’évolution du jeu était entre autres de faire vivre son héritage et de rallier toujours plus de monde à sa cause. L’Épisode d’Ardyn ne suit pas cette logique en privilégiant sans détour les fans les plus assidus. Un autre rêve s’est évanoui.

Beau de loin

Si Final Fantasy se réinvente sans arrêt, et si les DLC internes à FFXV auront plus ou moins suivi cette philosophie, on connaît aussi la série pour son attachement viscéral au beau et au bien fait. FFXV devait conjuguer avec un défi technique inédit pour Square Enix, et sans être particulièrement flamboyant à l’arrivée, de belles choses ressortaient du soin de certains détails (les animations de qualité, les effets de lumière, les simulation « photoréalistes » à base de shaders très étudiés ou encore des panoramas immersifs, etc.). Difficile pourtant de concéder à ce chant du cygne le soin qu’on peut décemment attendre de l’extension d’une grosse production qui aura lutté pour mettre en place des outils de production performants, lesquels ont été tellement vantés pendant la phase de communication. Textures grossières, modélisation à la finesse très relative, (gros) plans disgracieux… Insomnia est certes proprette de son côté, bien que froide, mais de tout on retiendra surtout quelques clins d’œil de mise en scène issus des éléments de communication de Final Fantasy Versus XIII (le prototype de FFXV) pour feindre la satisfaction de l’œil.

Néanmoins, difficile de ne pas évoquer le plaisir que prennent les oreilles avec encore une fois une bonne bande-originale. Variée et épousant les séquences à merveille, elle est un lot de consolation certain, permettant de tirer vers le haut des images qui autrement pâtiraient de l’absence d’envergure, ou plus exactement d’une décharge visuelle très contenue. Si les ultimes combats peuvent impressionner sur des captures statiques, l’héritage du jeu de base n’aura jamais été transcendé. La caméra folle et l’absence de défi entachent des séquences que la musique aide à tirer hors de l’eau.

La Prière de l’Oracle – Thème principal de l’épisode
L’avis de Skypirate :

Final Fantasy XV se referme donc (ludiquement en tout cas) avec un contenu mortifié par une équipe doublement orpheline et un budget qu’on imagine rachitique à l’image d’une Insomnia plus morte encore qu’après 10 ans de chaos. On pourrait aujourd’hui s’amuser des déclarations de Hajime Tabata à la sortie de FFXV en 2016 promettant des contenus additionnels hautement « qualitatifs ».

Pourtant, le désenchantement s’est peu à peu mué en une désespérante agonie. L’aigreur s’était colorée d’espoir avec l’épisode dédié à Ignis qui malgré quelques petites bévues nous avait très agréablement surpris avec des éléments de mise en scène percutants et les premiers signes d’une « vision alternative » pleinement assumée.

Il y a bien quelques signes de bonne volonté dans cet épisode consacré à Ardyn avec l’impressionnante vision d’un Ifrit captif et puis finalement soumis à la volonté du prince rejeté par le Cristal. On pourrait même pardonner les grosses ficelles comme la figure archétypale incarnée par Verstael qui déguste un bon morceau de bidoche transgénique et assène quelques bouffonneries en écoutant un air de Bach. Allons même plus loin et accordons au moins à l’équipe d’avoir proposé quelques jolis clins d’œil (les premières secondes du DLC sont délicieuses).

Pour toutes les raisons évoquées dans cette critique, le constat est malheureusement amer et très insuffisant. De nouvelles incohérences viennent alourdir une trame générale déjà complètement décousue et les événements décrits dans ce DLC ne trouveront forcément aucun écho dans l’histoire d’Insomnia. Même en considérant cette attaque farfelue (des dispositifs pour amplifier le pouvoir du Cristal, vraiment ?) comme alternative, on ressort stupéfait du traitement grossier réservé au cas du roi Regis alors en pleine possession de ses moyens, ou la résurgence inattendue de Clarus Amicitia qui assène quelques lieux communs via les ondes radio. Même le cas du personnage Ardyn, pourtant traité efficacement dans l’animé, retrouve ses vieux démons en sombrant dans la pitrerie plutôt que la folie. Incapable de développer les vraies réponses attendues, le DLC expédie en quelques cinématiques peu inspirées un chavirement douteux, et s’amuse à introduire des enjeux improbables censés impacter largement notre lecture du jeu.

En définitive, et au sortir de cet ultime contenu jouable, c’est un sentiment de soulagement qui prédomine. A l’heure où Square Enix repense complètement son organisation pour en revenir peu ou prou à celle de l’ère PS3/Xbox 360, on ne peut que se réjouir d’enfin clore ce chapitre controversé pour en revenir à un rapport plus « apaisé » à la série. Si le flou prédomine plus que jamais quant à demain, on souhaite que l’audace subsiste mais qu’elle soit enfin domptée.


Épisode d'Ardyn — La fin du cirque

Temps de jeu principal : 2H11

Temps de jeu total : ~2H45

Testé sur : PlayStation 4 Poor & Pro

4/10

Trop peu, trop tard, trop cher. Avec un budget manifestement amputé, et des ambitions nettement revues à la baisse, l'Épisode d'Ardyn accompagne le tomber de rideau sans brio, avec comme principale qualité l'assurance que la page se tourne enfin pour un Final Fantasy qui aura fait de la polémique sa toile de fond.

Du moins, il reste encore à feuilleter les pages du roman The Dawn of the Future (qui recueille les plans ultimes du développement additionnel du scénario) pour obtenir le fin mot de l'affaire. Car oui, si une partie de la confusion de l'histoire racontée avec Ardyn est probablement involontaire, un certain mystère plane notamment sur les véritables desseins des dieux et naturellement sur les enjeux qui font des personnages et des joueurs des pantins fondamentalement incapables d'affronter le destin. Le nôtre fut là d'affronter les nombreuses épreuves de la quinzième fantaisie, et de témoigner une dernière fois de la fascination à double tranchant pour ce projet insensé.

Il est temps pour ce souvenir de doucement se cristalliser afin qu'un autre roi prenne la relève.

Dreams

  • Des concepts intéressants
  • Quelques jolies séquences
  • Bonne bande-originale

Nightmares

  • Techniquement tristounet
  • Ludiquement limité
  • Faible contenu, qui plus est de qualité discutable
  • Une histoire confuse aux allures de fanfiction
  • Un aurevoir au goût amer