Le 28 mars dernier, l’un des crossovers les plus incroyables de l’histoire du jeu vidéo a fêté ses vingt ans. Vingt ans passés à combattre les Ténèbres à coups de clef géante. Vingt ans à faire languir les fans en s’éparpillant sur à peu près toutes les consoles existantes. Ce qui est depuis devenu une saga a touché le cœur de millions de joueurs. Autant vous dire que la récente annonce d’un quatrième épisode a suscité beaucoup d’émoi ! L’occasion était donc parfaite pour revenir le temps d’un Reset sur celui par lequel tout a commencé, Kingdom Hearts.

 

Hand in Hand

 

C’est au détour d’une conversation entre Hironobu Sakaguchi et Shinji Hashimoto que l’histoire de Kingdom Hearts a commencé. Les deux hommes discutaient du succès de Super Mario 64 et de leur envie de développer un jeu du même acabit. Mais comment concurrencer la popularité du moustachu ? Mario est adoré par presque tout le monde et il faudrait des personnages vraiment aimés pour espérer faire de l’ombre à Nintendo… En fait seul Disney en serait capable. C’est à ce moment que Tetsuya Nomura s’invite dans la discussion et exprime son envie de faire un tel jeu. La légende voudrait que, quelque temps plus tard, Hashimoto croise un dirigeant de Disney dans l’ascenseur (Square et la compagnie aux grandes oreilles partageant le même bâtiment à l’époque). Le courant serait bien passé et voilà que le projet est présenté à Disney. Après plusieurs réunions, l’idée est validée. C’est donc en février 2000 que débute par le plus grand des hasards le développement de Kingdom Hearts sous la houlette de Tetsuya Nomura qui officie en tant que réalisateur pour la première fois.

 

 

L’artiste se met alors au travail. Quels mondes Disney visiter ? Avec quels personnages Sora, son héros, va faire équipe ? Si la popularité des films est bien évidemment prise en compte, c’est surtout leurs thématiques et ce qu’elles pourraient apporter à KH qui sera décisif. Au fur et à mesure de ses recherches et des contraintes de Disney – Mickey ne pouvait apparaître que dans une seule scène par exemple – , Nomura crée aussi des mondes originaux comme la ville de Traverse. Survient alors un problème : il a besoin de personnages aux rôles bien particuliers pour peupler ce monde tutoriel mais ne parvient pas à faire son choix dans le vaste catalogue de Disney. Lui vient alors l’idée de génie. Pourquoi ne pas piocher dans ses anciennes œuvres ? Il faut un guide ? Squall serait parfait. Un mécano ? Cid. Quant à Cloud, il pourrait reprendre son rôle de mercenaire taciturne. C’est donc uniquement pour des besoins de rôles-fonctions que fut intégré l’univers Final Fantasy. Nomura peut laisser libre cours à son imagination et la branche marketing se frotte les mains devant l’incroyable association qui vient de naître.

 

Turning the Key

 

Le design de Sora a connu beaucoup de changements avant d’arriver à celui que nous connaissons. Le premier concept, le montrait comme étant un personnage anthropomorphique mi-homme, mi-lion. Tetsuya Nomura est fan du Roi Lion et de cet animal, l’apparence de Sora n’est donc pas surprenante. D’ailleurs la Terre des Lions devait apparaître dans ce premier épisode mais des contraintes techniques ont empêché son implémentation. Les dirigeants de Disney ne furent cependant pas très emballés par ce premier design. Il faut dire que Sora utilisait une tronçonneuse comme arme, ce qui posait quelques problèmes d’image pour Mickey et ses amis. Nomura retravailla donc son look en atténuant son côté animal et en l’équipant d’une énorme clé. Sauf que Final Fantasy IX venait de sortir et Djidane ressemblait trop à son héros. Sora deviendra donc totalement humain mais gardera la Keyblade, si centrale dans le scénario.

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Kingdom Hearts : l'improbable réussite

 

À l’origine, ni Square, ni Disney ne voulaient d’un personnage original comme protagoniste principal. Square souhaitait utiliser Mickey alors que Disney avait choisi Donald… Heureusement que Tetsuya Nomura a pu imposer son choix ! La dernière version de Sora utilisera tout de même les couleurs de Mickey en souvenir de la volonté initiale de Square.

 

Destati

 

L’histoire des Kingdom Hearts… Devoir la résumer, qui plus est à quelqu’un ne connaissant pas la série, est certainement l’une des choses les plus difficiles à entreprendre. Au fil des ans et des jeux, l’intrigue s’est complexifiée à un tel point que nombre de joueurs ont lâché l’affaire, lassés d’avoir toujours plus d’interrogations sans réponses… Heureusement, nous traitons aujourd’hui du premier épisode qui possède un scénario beaucoup plus abordable, tout en posant tout de même les bases pour les suites. À noter que la trame originelle était beaucoup plus simpliste. Sora se contentait de revivre les histoires des dessins animés et le jeu se terminait sur la défaite de Maléfique. Mais, suite à une recommandation d’Hironobu Sakaguchi qui conseillait d’avoir une histoire aussi travaillée que celle d’un FF pour captiver les joueurs, Tetsuya Nomura et ses comparses retravaillèrent l’intrigue. Ce qui donna naissance à Ansem et tout ce que cela implique.

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Un temps envisagée comme boss final, Maléfique gardera une importance majeure dans le jeu final.

 

Après l’une des cinématiques d’intro les plus cools du RPG, nous incarnons Sora dans un étrange lieu servant de tuto. Après une rude confrontation face à une ombre géante, le jeune garçon se réveille sur la plage de l’île du Destin. C’est ici que Sora passe ses journées avec ses amis Riku et Kairi. Si la vie y est plutôt douce, il faut avouer que l’on en fait vite le tour. Notre trio décide donc de construire un radeau pour partir à l’aventure, l’occasion pour le joueur de se familiariser avec les déplacements et la caméra un peu capricieuse. La veille du départ une terrible tempête frappe l’île. Toutefois, on se rend vite compte que celle-ci n’est pas naturelle quand de petites créatures noires, les Sans-coeurs surgissent des ténèbres pour nous attaquer. Après une rapide rencontre avec Riku, Sora hérite de la Keyblade, une épée en forme de clé. S’en suit une discussion avec un homme encapuchonné, la disparition de Kairi et la destruction du monde de Sora qui se réveille dans la ville de Traverse…Kingdom Hearts : l'improbable réussite

 

Au même moment, Donald et Dingo débarquent en ville car ils sont à la recherche du « porteur de la clé » qui devrait les mener à leur Roi disparu. Comme vous vous en doutez, il s’agit de Sora et notre trio ne tardera pas à être réuni pour une mission aux multiples enjeux : combattre les Sans-coeurs, libérer les Princesses de Coeur et retrouver leurs amis. Cette quête servira de fil conducteur au travers des différents mondes qui ont chacun leur propre histoire basée sur les films dont ils proviennent. Bien qu’assez simple dans son déroulé, KH réserve son lot de moments épiques et de révélations. S’il faut attendre le dernier tiers de l’aventure pour que les choses se mettent vraiment à bouger, on suit avec plaisir l’évolution de Sora. Une évolution qui est symbolisée par les univers que l’on parcourt. Ainsi Alice au pays des Merveilles représente la perte de repères de Sora, le Colisée le prépare aux épreuves qui se profilent…

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Chaque arrivée dans un nouveau monde donne lieu à d’amusantes saynètes

 

Tout comme les films Disney qu’il utilise, Kingdom Hearts propose différents niveaux de lecture. On peut y jouer pour simplement revivre les dessins animés de notre enfance ou bien s’intéresser au côté très philosophique du jeu. Car oui, si le premier épisode semble plus simple au premier abord, il fourmille de détails et d’indices laissant supposer qu’il est bien plus que ce qu’il prétend être. Il suffit de lire les rapports d’Ansem ou de visionner la fin secrète pour en être convaincu. C’est cette multitude d’interprétations qui le rendent toujours aussi agréable à parcourir, du moins d’un point de vue scénaristique.

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Tetsuya Nomura a su adapter à la perfection son style à l’univers Disney

 

A Walk in Andante

 

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : le gameplay du premier KH a vieilli. Beaucoup moins dynamique que ses suites, le jeu souffre également de gros soucis de caméra. Les combats dans les zones étriquées deviennent facilement illisibles et certaines phases de plate-forme sont une torture (les lianes de Tarzan…). Pour le reste, nous sommes sur du jeu d’action classique des années 2000. On matraque donc la touche X les trois-quarts du temps face à des hordes d’ennemis toujours plus nombreux. Vous pouvez aussi utiliser des objets ou de la magie mais cela implique de les avoir préalablement mis en raccourcis sous peine de devoir naviguer dans le menu assez peu ergonomique en plein affrontement. Présenté comme ça, le jeu ne fait pas très envie mais si on parvient à passer outre ces défauts, Sora s’avère plutôt agréable à prendre en main et c’est avec plaisir que l’on enchaîne magies et techniques spéciales.

 

Quand on vous dit que la caméra n'est pas toujours au top...
Quand on vous dit que la caméra n'est pas toujours au top...
Et c'est encore plus vrai sur les boss imposants
Et c'est encore plus vrai sur les boss imposants
L'utilisation de la magie (ici Rafale) vous sauvera de nombreuses fois
L'utilisation de la magie (ici Rafale) vous sauvera de nombreuses fois
Ces petites marques sont disséminées un peu partout et vous demanderont des compétences spéciales pour les activer
Ces petites marques sont disséminées un peu partout et vous demanderont des compétences spéciales pour les activer

 

Ce plaisir vient en partie du bestiaire très varié. Chaque monstre a sa particularité et vous devrez sans cesse vous adapter à vos ennemis. Il faudra donc adapter vos raccourcis face à la faune locale et comprendre leurs points faibles pour espérer les vaincre. C’est d’autant plus vrai dans les dernières zones du jeu qui vous opposent à la quasi-totalité du bestiaire pour des joutes sans fin. Les boss ne sont pas en reste et demanderont de l’observation de votre part. Ils ont tous un point faible particulier et l’exploiter sera la clef de votre réussite. Foncer tête baissée sera souvent synonyme de game over tant ils s’avèrent sans pitié. Je me souviens d’être resté bloqué des jours face au Cerbère à l’époque car je m’acharnais à l’attaquer de face…

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite
La plupart des boss sont assez imposants et vous demanderont d’être très mobile

 

L’autre point fort provient des mondes en eux-mêmes. En plus d’avoir une symbolique scénaristique, ils remplissent également à la perfection leur rôle de « niveaux de jeu vidéo ». Chaque escale est l’occasion de découvrir une nouvelle façon de jouer et de progresser. Énigmes, combats à foison, plate-forme, mini-jeux… Ils ont tous une fonction et une identité propre. Cette variété empêche la routine et l’ennui de s’installer et renouvelle en permanence l’intérêt du joueur pour l’exploration. Cependant, c’est loin d’être parfait à l’image du monde de la petite sirène qui offre certainement l’une des pires maniabilité qu’il m’ait été donné d’expérimenter. Je regrette également le côté un peu « mécanique » de l’exploration. Chaque salle demandera de longues minutes de combat contre des groupes de Sans-coeurs et cela devient assez redondant à la longue. Personnellement, je me contentais d’un monde à la fois pour atténuer cet aspect (et laisser mes doigts se reposer). Un monde se traversant en une ou deux heures, on obtient une durée de vie d’environ 20-25h ce qui est plus qu’honorable pour un jeu de l’époque.

 

Blast Away !

 

Parce qu’il faut bien voyager d’un monde à l’autre, Kingdom Hearts propose des phases en vaisseau Gummi. Vous devrez tout d’abord assembler votre vaisseau grâce à des blocs (sortes de Lego) trouvés ou achetés dans les boutiques. Les menus sont peu ergonomiques et rendent le tout assez fastidieux, si bien que je finis la plupart du temps avec un cube bardé de canons. Une fois votre chef-d’œuvre achevé, il s’agira de parcourir de longs chemins rectilignes – et franchement moches – en tirant sur tout ce qui bouge.

 

1/1
Malgré la présence d'un score, vous n'aurez pas l'envie de refaire les niveaux...
Malgré la présence d'un score, vous n'aurez pas l'envie de refaire les niveaux...

 

Ces phases sont un calvaire. Les contrôles sont mous, le challenge pas intéressant et c’est avec soulagement que l’on atteint notre destination. Une fois le chemin débloqué, il n’est heureusement plus nécessaire d’y repasser. Le vaisseau Gummi est sans conteste le plus gros point faible du titre.

 

It’s a small world

 

Il est temps d’aborder ce que je considère comme le plus gros point fort du jeu, sa direction artistique. Absolument tous les environnements bénéficient d’un soin du détail incroyable rendant hommage aux films dont ils sont tirés. Clins d’œil dans les décors, interactions avec certains objets mais surtout retranscription fidèle de certaines scènes cultes des dessins animés, de quoi vous pousser à fouiner dans chaque recoin. Autant vous dire que les fans de Disney seront aux anges. Les mondes exclusifs ne sont pas en reste et cachent de nombreux secrets et références notamment la ville de Traverse, terre d’accueil de plusieurs personnages Disney mais aussi de quelques-uns provenant de Final Fantasy. Parlons-en d’ailleurs de l’implémentation de ces personnages. S’ils n’ont été ajoutés que pour des raisons pratiques, ils ont eu le droit à un nouveau design des plus réussis pour s’intégrer au mieux dans l’univers du jeu. Loin du simple fan-service, ils interviennent régulièrement dans le scénario et font même office de boss. Tifa devait d’ailleurs être dans ce premier épisode mais ne sera ajoutée que dans KH II par faute de temps. Même chose pour Rikku qui fut remplacée par Yuffie pour éviter toute confusion avec Riku. Malgré les craintes légitimes que cette association pouvait générer, Kingdom Hearts parvient à former un tout cohérent et nous happe dans son univers pour ne plus nous lâcher. Le jeu est enchanteur et retranscrit avec brio l’enfance du héros et son basculement vers l’âge adulte (qui se fera tout au long de la série). Si visuellement c’est une réussite, je ne peux pas en dire autant du level-design. Les mondes sont assez petits et ne comportent qu’une dizaine de salles qui se traversent rapidement. De nombreuses zones n’ont pas d’autre vocation que de servir d’arènes et ne s’avèrent donc pas particulièrement intéressantes à parcourir. De même, l’absence de PNJs rend certains environnements vides. Si bien que l’on a parfois l’impression d’être dans de faux décors, comme à Disneyland en fait. Je prends pour exemple le marché d’Agrabah qui consiste en 3 cubes alignés sans grand intérêt semblant avoir été désertés depuis des lustres. Si les contraintes techniques de la PS2 sont la principale cause de ce choix, l’immersion en prend tout de même un coup.

 

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Kingdom Hearts : l'improbable réussite
Kingdom Hearts : l'improbable réussite

 

Ce ressenti de vide se retrouve également dans les cutscenes de moindre importance qui souffrent d’une mise en scène très statique. Ces dernières ne sont pas doublées et seule la musique d’ambiance les accompagne rendant le tout un peu ennuyeux par moments. Heureusement, les séquences doublées jouissent d’un travail de grande qualité et certaines d’entre-elles figurent sans problème au panthéon des meilleures scènes de la série (le réveil de Kairi est probablement l’une de mes préférées). Le doublage de qualité y est pour quelque chose bien sûr, et c’est avec un plaisir non dissimulé que l’on replonge en enfance à l’écoute des doubleurs français originaux des Disney.

 

Another Side

 

À l’image des versions « International » des FF, Kingdom Hearts a eu le droit à sa version améliorée. Intitulée « Final Mix », elle fut la source d’une grande frustration chez les fans car exclusive au territoire japonais. Cette édition apportait de nouvelles compétences et pièces d’équipement mais aussi des cutscenes supplémentaires et un nouveau boss. Si son identité est inconnue à l’époque, il nous offrait un combat très ardu donnant un aperçu de ce qui nous attendait dans la suite des aventures de Sora. Dernier point non négligeable pour moi, la quasi-totalité du bestiaire a changé de couleur. Personnellement, je trouve la plupart de ces changements affreux, les Sans-coeurs perdent leurs apparences sombres et inquiétantes et semblent désormais s’échapper d’un carnaval avec leurs apparences bariolées… Mais bon, les goûts et les couleurs…

 

Kingdom Hearts : l'improbable réussite

 

L’exclusivité japonaise prendra fin avec la sortie de la compilation 1.5 HD ReMix sur PS3 (puis sur pratiquement tous les supports existants). S’il s’agit de la version la plus complète de KH, elle a un défaut de taille pour nombre de joueurs : la disparition du doublage VF.

 

Dernier point et pas des moindres, la musique. Yoko Shimomura livre ici l’une de ses meilleures BO. Absolument TOUS les morceaux sont fantastiques. L’omniprésence du piano, les chœurs pour les pistes plus sombres ou l’envolée lyrique des cordes pour les moments de bravoure, tout est parfait. Que ce soit pour accompagner notre exploration ou rythmer les combats, chaque morceau vous restera en tête des heures, voire des années. La compositrice a également réussi à reprendre les thèmes des films Disney avec brio pour rendre un véritable hommage aux films. Bref, c’est un sans-faute et j’ai le plus grand mal à ne choisir qu’un seul morceau à vous partager ici… Oh et n’oublions pas la chanson « Simple and Clean » d‘Utada Hikaru. Un morceau pop très dansant qui sert d’ouverture au jeu (et qui était l’une des raisons pour laquelle je relançais le début régulièrement).

 

 

Si mon rapport avec Kingdom Hearts a évolué au fil des années, mon attachement pour ce premier épisode est resté intact. Il n’est pas exempt de défauts et nul doute que certains passages vous feront grincer des dents (Monstro…), mais je lui pardonne aisément ses défauts tant il fait preuve de générosité. Musicalement irréprochable, coloré et possédant une histoire d’une grande profondeur, Kingdom Hearts est un jeu qui mérite d’être essayé. L’improbable rencontre entre Disney et Square fonctionne très bien et ce n’est pas un hasard si la série est devenue l’une des plus grosses franchise de la compagnie. Avec la récente annonce de Kingdom Hearts IV, je vous encourage à sauter le pas et à rejoindre Sora, Donald et Dingo dans cette formidable aventure. Je vous garantis que vous ne serez pas déçus !