Cas d’école comme on n’en a pas vu depuis longtemps, Babylon’s Fall est sorti le 4 mars 2022 dans l’indifférence la plus totale et un soutien bien timide de Square Enix. Tout avait pourtant si bien commencé avec un premier teaser enthousiasmant, et surtout l’excitation d’une nouvelle collaboration avec PlatinumGames. Un combo gagnant et qui avait beaucoup apporté à NieR Automata notamment. Pourtant, les choses ont pris un virage inquiétant l’an dernier, après un long silence, lorsque le modèle économique a finalement été révélé avec une gronde critique immédiate. Retour sur cette triste histoire aux allures d’auto-sabotage.

 

Ce test a été effectué avec une clé PS5 offerte par l’éditeur.

 

Pour éviter de tirer sur l’ambulance tout du long, il me paraît donc essentiel d’aborder directement le cas du modèle économique finalement retenu. Ce qu’on imaginait comme une expérience solo portée par une action débridée et une direction artistique inspirée s’est finalement transformé en une expérience « coopérative » et même comme un jeu-service pourtant vendu au prix fort. Cela implique naturellement les désormais très bien connus « passes de combat », quêtes quotidiennes et hebdomadaires, et achats in-game pour acheter de l’équipement ou différents objets cosmétiques. L’annonce a été mal reçue, et pour cause, la démarche est particulièrement culotée ! Les producteurs du jeu ont bien tenté d’éteindre l’incendie en confirmant un contenu initial riche (environ 70 quêtes scénarisées) et la promesse d’un suivi régulier mais le désintérêt des joueurs est monté crescendo et les premiers retours très mitigés, notamment sur les combats lors de la phase bêta, n’ont pu faire l’objet que de légers ajustements par faute de temps.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée
A l’image du format économique du jeu, le Coffre est un lourd boulet pour notre avatar

 

Une aventure coopérative qu’on exécute en… solitaire

Les chiffres sont tristement éloquents puisque le titre enregistrait à sa sortie Steam un pic de … 650 joueurs. De quoi donner des sueurs froides à l’éditeur qui essuie un revers prévisible et qui interroge sérieusement sur la viabilité du titre. Si SQEX compte sauver ce qui peut l’être, on imagine facilement l’abandon du format retenu pour une version free-to-play quitte à contrarier les rares ambassadeurs qui ont décidé de lâcher 70 euros. Difficile en effet d’imaginer voir SQEX alimenter bien longtemps ce qui s’apparente à une véritable catastrophe industrielle. C’était un pari perdu d’avance, et malgré l’échec de Marvel’s Avengers, l’éditeur japonais semble toujours embourbé dans les stratégies déployées et répète les mêmes erreurs pour des résultats commerciaux de plus en plus inquiétants.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée
On se retrouve finalement bien seul pour affronter les défis que le jeu propose

Le plus dramatique concernant l’audience du titre est que le jeu, et j’y reviens plus en détail plus bas, est pensé et articulé pour la coopération. On se retrouve donc au final bien seul, au mieux en binôme, pour affronter les défis que le jeu nous propose. Les parties s’avèrent donc de plus en plus fastidieuses, plus longues qu’elles n’auraient dû l’être, et voire même très pénibles. C’en devient quasiment injouable en l’état puisque l’affluence ne cesse de tristement s’étioler. SQEX n’aura d’autre choix que de revoir son positionnement économique dans les meilleurs délais s’il compte sauver Babylon’s Fall, ou tout du moins limiter ce naufrage. 

Un monde ravagé à la solde de gourous 

À présent que vous connaissez le fond de ma pensée concernant le format du jeu, intéressons-nous à ce qu’il tient à nous raconter. Comme l’évoque le titre du jeu, celui-ci s’intéresse au cas de la tour de Babylone qui fait l’objet de nombreuses rumeurs et légendes. Des prisonniers sont enrôlés en tant que soldat équipés d’un Coffre de Gédéon qui leur octroie des facultés extraordinaires. Une opération douloureuse et qui ne fonctionne que sur plusieurs élus. Mais c’est au prix de risques considérables puisque certains aventuriers peuvent littéralement perdre le contrôle et rentrer dans une rage incontrôlable, voire même se grimer en de redoutables ennemis. Du reste, l’univers de Babylon’s Fall est miné de mouvements sectaires et de gourous aux intentions floues qui contrôlent une partie de l’opinion en promettant de les libérer de la « mort bleue », un mal mystérieux lié au soleil et qui laisse de terribles stigmates sur le corps des malades. Le scénario est porté par différents acteurs aux intentions souvent très manichéennes mais je me suis étonnamment laissé séduire par cette ambiance qui offre un récit finalement très abondant. Les différents acteurs de l’histoire assurent complètement leur rôle, et l’écriture sans prétention permet de vraiment se prendre au jeu.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée
Babylon’s Fall nous immerge dans un univers somme toute classique mais à la direction artistique intéressante

L’histoire est portée par une narration à la fois classique et atypique qui porte les traces des ambitions de base. De nombreuses cut-scènes agrémentent vos débuts et fin de mission, tandis que le titre déploie son lore par le biais de messages vocaux envoyés durant votre exploration, mais qu’il n’est pas toujours aisé de suivre en plein combat. Aussi, d’autres phases beaucoup moins attendues proposent de suivre la progression par le biais de tableaux qui s’animent avec un effet peint à l’huile de toute beauté. C’est déconcertant au départ mais cela apporte un cachet certain au titre qui dispose d’une direction artistique ne manquant pas d’atouts. Malheureusement, celle-ci est complètement desservie par une technique indigne où la modélisation des personnages au rabais s’accompagne d’animations d’un autre âge qu’on s’étonne de retrouver dans un titre de nos jours. On apprécie alors d’autant plus ces tableaux qui permettent de mieux deviner les qualités de la direction artistique et ses inspirations. La bande-originale compte quant à elle quelques morceaux particulièrement épiques, notamment contre les boss, à grands renforts de chœurs et d’envolées grandiloquentes qui tentent d’insuffler un peu d’héroïsme malgré une expérience de jeu lacunaire.   

 

Retour douloureux sur le trailer d’annonce

La rédaction de cette critique m’a donné l’envie de redécouvrir la vidéo d’annonce du jeu qui avait suscité beaucoup d’enthousiasme. Un exercice très troublant tant le produit final semble plutôt raccord avec les éléments visuels dévoilés même si l’on ignorait tout (et le jeu aussi) du chemin qui allait être emprunté. Cela démontre une fois encore la distance qu’il convient d’observer vis à vis d’une vidéo promotionnelle.

Une mécanique bien connue mais pas si bien huilée

En ce qui concerne les mécaniques de jeu, et son fonctionnement, vous retrouverez naturellement un hub central depuis lequel vous pouvez accéder à la boutique (au positionnement tarifaire complètement indigne par ailleurs), l’amélioration de votre équipement, et surtout lancer de nouvelles missions. Le cas de la forge n’intervient qu’après la première partie du jeu afin de recycler tout l’équipement accumulé. Vous devrez donc recycler vos objets (une démarche fastidieuse, et qui aurait mérité une ergonomie repensée), acheter des plans, et enfin forger contre la monnaie du jeu et les matériaux agglomérés afin de concevoir des armes, équipements, ou ornements, plus intéressants. Du reste, le côté très permissif des combats n’encourage pas nécessairement à dénicher les meilleurs équipements même si les défis post-campagne seraient possiblement l’occasion de s’y pencher plus concrètement.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée
Le QG, hub central dont on fait vite le tour et qui vous permet notamment de forger, accepter des missions, et accéder à la boutique

Différents PNJ vous en apprendront aussi davantage sur l’univers, il est donc souhaitable de leur faire la causette de temps à autre. La création de votre avatar correspond à des normes très sommaires, et le choix initial vous propose d’enrôler l’une des trois factions qui définissent les capacités auxquelles vous aurez accès, les Huysiens, Agaviens et Géleilioniens (bravo si vous parvenez à le prononcer). J’ai opté pour le premier choix pour l’agilité et l’agressivité promises. Ils ne portent en effet pas d’amures lourdes et sont réputés pour leurs vêtements « raffinés ». Mais au au final, tout dépendra de vos choix en matière d’équipement et l’utilisation de vos attaques spéciales, dites fantômes.

L’avis d’AlxZ_Rex

Pour ma part, j’ai fait la démo qui nous laisse jouer jusqu’à la fin de la deuxième zone. J’ai donc pu tester pas mal de choses en plus d’affronter les deux premiers « vrais » boss. Et je n’ai malheureusement pas du tout été emballé…

Les jeux PlatinumGames n’ont jamais été des claques visuelles mais la direction artistique et leur sens aigu du gameplay ont toujours su compenser une technique défaillante. Malheureusement, ce n’est pas le cas ici… Les développeurs ont fait le choix d’appliquer un filtre « peinture à l’huile » sur les textures du jeu. Si l’idée est originale, elle ne fonctionne tout simplement pas une fois en jeu. L’action est la plupart du temps illisible, les textures baveuses et le design des personnages et monstres – qui semblent être des concepts refusés pour Bayonetta – rendent le tout très peu agréable à l’œil. Musicalement le jeu s’en sort pas trop mal même si la encore la redite avec Bayonetta se fait sentir… L’histoire quant à elle n’est pas très intéressante et use de tous les poncifs du genre de manière peu inspirée. Secte, gourou mégalomane, corruption des élites et de la religion… Tout y passe et on a juste envie de zapper les scènes pour entrer dans le vif du sujet. Sauf que c’est là que tout dérape.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée

Le système de combat de Babylon’s Fall est entièrement basé sur le Coffre de Gédéon que notre avatar porte dans le dos. Grâce à lui, vous pouvez équiper quatre armes en même temps associées aux touche Carré, Triangle, R2 et L2. Libre à vous de n’équiper que des épées ou de varier votre arsenal avec un arc ou un marteau. Sur le papier, cela promet des combos incroyables sauf que dans les faits devoir appuyer sur les deux gâchettes, la touche d’attaque, garder un doigt sur le lock et un autre sur l’esquive demande de se tordre les mains de manière improbable pour au final pas grand chose tant les sensations sont absentes. Comme l’a dit Skypirate, BF a été entièrement conçu dans l’optique d’être joué à quatre. Le souci c’est qu’une absence totale de promo et un modèle économique incompréhensible ont fait fuir les joueurs si bien que vous gravirez la tour seul la majeure partie du temps. Vous devrez donc faire face à de véritables sacs à PV vous demandant de longues minutes pour les vaincre là où ça ne devrait prendre que quelques secondes. L’impact de vos coups est inexistant et c’est encore pire lorsque vous tombez sur une dizaine d’ennemis cachés derrière des boucliers ou que le jeu décide de vous faire combattre au ralenti sous l’eau… Le peu de fun subsistant encore disparaît totalement contre les boss qui sont une véritable horreur à affronter seul et ne présentent au final qu’un intérêt très limité à quatre tant les pauvres se font enchaîner dans un déluge d’attaques rendant l’action impossible à suivre. Sans compter la caméra qui adore se mettre dans les murs…

Un jeu-service vendu au prix fort vous proposant de payer en plus pour un passe de combat pour au final vous donner accès à des combats mous, inintéressants voire frustrants ? En l’état je ne peux que vous conseiller de fuir Babylon’s Fall qui est indigne des anciennes productions de PG. Peut-être qu’un changement de modèle économique et une refonte totale du gameplay pourrait sauver le jeu qui est pour l’instant bien vide… En attendant, je vous recommande de vous tourner vers Bayonetta, Metal Gear Rising ou bien encore NieR Automata.

 

 

Concernant le gameplay à proprement parler, les attentes et espoirs étaient bien légitimes puisque les gars de PlatinumGames, malgré quelques ratés dernièrement, se sont illustrés sur de nombreuses licences depuis longtemps déjà. Panache, intensité, sensations manettes en main, tous les voyants semblaient au vert et c’est pourtant très délicat sur ce plan aussi. Et c’est cette fois vraiment impardonnable. Concrètement, vous disposez de deux armes assignées aux boutons, et de deux autres aux gâchettes, les armes fantômes. Chaque arme est en effet associée à une compétence qui peut être exploitée via ces deux assignations. Cela permet sur le papier de renouveler sans cesse votre stratégie en fonction des sensations attendues.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée
Les attaques fantômes permettent de déployer des compétences uniques

La problématique est que ces dites sensations se révèlent souvent bien mollassonnes, bien que les développeurs promettent d’avancer significativement sur la question bientôt. Les salves d’ennemis apparaissent dans des arènes intitulées « Chapitres » et consistent à spammer inlassablement votre arme fétiche, esquiver rarement, et espérer en finir au plus vite. La problématique rappelée plus haut (le nombre de joueurs ultra famélique) complique les choses au sens où les ennemis disposent d’un nombre conséquent de points de vie. Et même lorsque vous parvenez miraculeusement à former une vraie équipe de quatre joueurs, la coopération se réduit à bien peu de choses, sinon pouvoir être réanimé plus rapidement. L’aspect coopératif paraît absolument factice et accessoire, un comble absolu au regard du format économique. Le jeu se casse véritablement les dents sur cet aspect qui aurait pu justifier la philosophie retenue mais ça ne fonctionne pas.

Des boss en abondance et des environnements monotones

Nous mentionnerons tout de même les combats de boss très nombreux, et variés, qui offrent un souffle un peu plus épique aux affrontements. Ceux-ci se déroulent selon un schéma plutôt intéressant où votre ennemi dévoile par moment sa « vraie nature » et entre en transe, tandis que des assauts répétés vous permettent parfois de le mettre au tapis et de tout donner pendant quelques secondes. Ces moments sont particulièrement bien mis en scène, et permettent de discerner toutes les ambitions initiales du projet. Le design de vos ennemis est particulièrement réussi, et les morceaux accompagnant ces moments de bravoure n’y sont pas pour rien dans ce sentiment un peu coupable de satisfaction. Il subsiste donc régulièrement ce petit goût de l’épique qui donne envie de s’accrocher malgré les difficultés. Le jeu devient tristement jour après jour injouable puisque les serveurs se réduisent à peau de chagrin, mais on ne peut pas enlever aux développeurs le soin apporté à ces phases.

Babylon’s Fall : la tour infernale mal fagotée
Malgré un aspect tactique au rabais, les combats contre les boss insufflent un peu d’épique

Rajoutons à ce bilan plus que mitigé des environnements peu convaincants en matière d’exploration et une interactivité limitée. L’exploration est toujours encouragée afin de découvrir quelques reliques ou monnaie supplémentaire, mais on finit souvent par tracer très hâtivement son chemin jusqu’à la prochaine arène. Renouveler en boucle certaines quêtes peut s’avérer tentant pour looter un équipement plus intéressant, mais l’aridité de la communauté empêche malheureusement d’y recourir sereinement. Heureusement, au fil de votre progression, les environnements deviennent plus vastes, plus tortueux aussi, et tentent quelques variations (poison, plateformes mouvantes, exploration aquatique, téléportation rapide, précipices, pièges…) mais les différents problèmes de lisibilité et l’absence de vraies ambitions sur la question ne permettent pas de combler la frustration. La caméra capricieuse n’aide pas non plus à s’y immerger. La monotonie s’installe et rien ne permet de vraiment combler l’aspect couloir que le titre tente désespérément de combler via de vains artifices.

Paradoxalement, et malgré toutes ses tares sur à peu près tous les niveaux d’attente, j’ai développé une certaine tendresse pour Babylon’s Fall. Derrière ce vernis daté et les problématiques fonctionnelles, la genèse du projet paraissait finalement plutôt solide, et le récit se suit avec un certain plaisir. La narration est parvenue à me convaincre comme des friandises après des efforts un peu désespérés. Les boss ont fait l’objet d’un soin qui mérite très sincèrement d’être souligné même si leur exécution se révèle laborieuse à cause du désintérêt de la communauté. On ne se fait en tout cas guère d’illusion sur le destin de Babylon’s Fall qui se retrouve embourbé dans un écrin économique non viable. Enfin, PlatinumGames démontre ici une vraie difficulté à s’adapter au côté coopératif, et voit ses compétences louées depuis si longtemps en matière d’intensité mises à mal. Un constat tragique que l’on peut facilement attribuer à une gestation chaotique et sans boussole. Espérons que SQEX réagisse vite car il semble déjà bien tard pour convaincre de nouveaux aventuriers de partir à l’assaut de cette tour de Babylone devenue infernale bien malgré elle.  Un cas d’école comme on espère ne plus jamais en voir chez Square Enix, et dans toute l’industrie en général.