Le 10 février 2022, soit le lendemain d’un Nintendo Direct qui a enflammé les amateurs de JRPG, est sorti Edge of Eternity. Bébé de Midgar Studio en gestation depuis 2015, EoE débarque enfin sur nos consoles de salon. Présenté comme un Final Fantasy à la française, c’est avec grand intérêt que je me suis plongé dans le monde d’Heryon. L’attente en valait-elle la peine ?

 

Critique écrite à partir d’une version PS5 dématérialisée fournie par l’éditeur.

 

Le JRPG indépendant voulant concurrencer les géants

 

C’est en 2015 que le petit Midgar Studio, alors composé de quatre personnes, lance une campagne Kickstarter pour Edge of Eternity. Les ambitions du studio nîmois sont claires :rendre un hommage aux JRPG des années 90-2000. Après une campagne de financement couronnée de succès grâce à 4045 contributeurs, le développement peut commencer. Le jeu sort tout d’abord en accès anticipé sur Steam avec la publication de son premier chapitre en décembre 2018. Suivront ensuite plusieurs épisodes jusqu’au 12 août 2020, date à laquelle EoE entre en phase de beta. La fin sera rendue disponible le 8 juin 2021 sur PC. L’aventure aura connue de nombreux ajustements aussi bien visuels que narratifs ou techniques. L’équipe, qui compte désormais treize personnes, a su écouter les joueurs pour améliorer en permanence l’expérience de jeu et ce jusqu’à la sortie du titre sur consoles de salon. Cette constante évolution se ressent d’ailleurs dans l’aventure avec des environnements et des combats toujours plus ambitieux. Mais avant d’aborder ce sujet, attaquons nous à l’histoire.

 

 

Edge of Eternity est sorti le 10 février sur Playstation et Xbox et arrivera le 23 février sur Switch au prix de 30€ en dématérialisé et en 40€ pour les versions physiques PS4/PS5.

 

Terres corrodées et écriture de qualité

 

Le monde d’Heryon vivait en paix jusqu’à l’arrivée des Archélites, une race d’extraterrestres. Après un premier contact amical, des tensions sont vite apparues entre les deux peuples menant à une guerre sans merci. La technologie plus avancée des Archélites a causé d’énormes dégâts mais, après des années de conflit, l’armée d’Heryon a fini par remporter quelques batailles en utilisant la magie extraite des cristaux présents un peu partout sur la planète. Malheureusement, les envahisseurs avaient gardé un atout dans leur manche : la Corrosion, une horrible maladie transformant toute forme de vie en abominations…

 

C’est sur le front que commence Edge of Eternity en nous plaçant dans la peau de Daryon, un jeune soldat. Ce dernier vient de recevoir une lettre de sa sœur Selene lui apprenant que leur mère a attrapé la Corrosion. À peine a-t-il le temps d’encaisser la nouvelle que son campement est attaqué par les machines Archélites. Seul survivant de l’assaut, Daryon prend la décision de déserter pour rejoindre Selene dans sa quête pour trouver un remède à la Corrosion.

 

Edge of Eternity : Fantaisie Française

 

Edge of Eternity : Fantaisie FrançaiseBien que très classique dans ses débuts, le scénario va vite évoluer pour prendre des proportions épiques impliquant de sauver le monde. Un peu longue à se mettre en place, l’histoire reste agréable à suivre et la montée en puissance du scénario, ainsi que les nombreux retournements de situation, nous gardent en haleine tout au long de la cinquantaine d’heures que demande l’aventure. Mais plus encore que les événements émaillant l’aventure, ce sont les dialogues qui m’ont marqué. Loin des conversations classiques souvent un peu niaises des JRPG, les discussions sont ici plus directes, souvent très drôles et beaucoup plus matures qu’à l’accoutumée. La complicité entre Selene et Daryon fonctionne dès les premiers instants et leurs interactions avec les autres personnages sont extrêmement bien écrites. Les quêtes annexes bénéficient d’ailleurs d’un soin tout particulier et donneront lieu à quelques réparties très amusantes ou apporteront certains éléments de background intéressants. Seul pendant les vingt premières heures, notre duo sera rejoint par de nouveaux membres hauts en couleur qui sauront vous toucher et vous amuser avec leurs attitudes très loin des héros habituels du genre. Ysoris est à ce propos brillamment écrit et est devenu mon chouchou en quelques instants. Sortant totalement des clichés habituels du JRPG, notre équipe de héros apporte un vrai vent de fraîcheur dans un genre qui a tendance à beaucoup trop se reposer sur ses acquis. Midgar Studio a pris un malin plaisir à prendre à contrepied les habitudes des joueurs et s’amusera jusqu’au bout à nous surprendre.

 

 

L’intégration des quêtes annexes

 

Les missions annexes d’Edge of Eternity sont particulièrement bien intégrées au reste du jeu. Toutes placées sur votre route, elles vous feront explorer les moindres recoins du monde ouvert, étofferont le background du jeu et sauront vous récompenser pour vos efforts. Elles ont également le mérite d’être variées et d’éviter de tomber dans les classiques Fedex. Et pour ceux qui comme moi ont toujours trouvé perturbant que les héros fassent une partie de pêche alors que la fin du monde approche, sachez que les développeurs ont pensé à vous. Régulièrement Daryon fera la réflexion à sa sœur – et au joueur – qu’ils ont sans doute mieux à faire que d’aider un petit vieux à rassembler ses pilitchs égarés. Chose à quoi Selene aura toujours réponse, donnant lieu à des dialogues savoureux. Je vous conseille également de lire le descriptif des quêtes qui est souvent très drôle.

 

Le jeu regorge également de clins d’œil et de références aux JRPG mais pas seulement. Ainsi, Daryon est chambré sur la taille de son épée, vous devrez fuir à travers toute une zone poursuivie par un boss énervé – ce qui rappellera de bons souvenirs aux joueurs de FF VIII -, vous passerez une nuit à affronter des vagues de zombies dans une ambiance digne d’un film d’horreur… Final Fantasy, Deus Ex, PortalEdge of Eternity transpire la passion et l’hommage tout en réussissant à avoir sa propre identité. Tel un Darksiders, qui piochait allègrement chez Zelda ou God of War pour se créer, EoE s’approprie des thématiques et des mécaniques connues – comme les discussions à l’auberge – pour forger son univers. En ressort un tout cohérent et régulièrement étoffé via les dialogues avec les PNJs. Le jeu utilise aussi très bien le principe de narration environnementale. Par le biais de quelques ruines, des carcasses de vaisseaux ou des terres brûlées, le joueur comprend que de grandes batailles ont eu lieu et que le monde n’est pas en paix. S’il aborde des thématiques courantes pour le genre – religion, destruction de la nature, mauvaise utilisation de la science…- il le fait avec une approche assez inédite et un ton résolument plus adulte qu’à l’accoutumée. Une fois encore le personnage d’Ysoris est une franche réussite à ce niveau. À noter aussi le succès total des designers en ce qui concerne les nekaroos et les pilitchs, des sortes de gros oiseaux heureux lorsque la tristesse et la désolation règnent autour d’eux, qui n’ont pas à rougir face aux chocobos ou aux mogs !

 

Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française

 

Cependant tout n’est pas parfait. Certains aspects de l’univers – comme son gouvernement ou l’étendue des ravages provoqués par la guerre – sont peu ou pas abordés et quelques personnages ont des motivations un peu obscures. De nombreuses questions restent également en suspens une fois l’aventure terminée. Toutefois, des mises à jour gratuites sont prévues pour le titre. De quoi éclaircir des zones d’ombre en attendant, je l’espère, un Edge of Eternity 2.

 

Les combattants du nexus

 

Edge of Eternity : Fantaisie FrançaiseSi l’histoire se suit avec plaisir, c’est aussi parce que le gameplay est très agréable. Edge of Eternity est un monde ouvert doté de quelques zones faisant office de donjons plus fermés. Si ces derniers sont assez classiques dans leur construction et pas forcément très inspirés, ils ont le mérite de ne pas être trop longs. En revanche, le monde ouvert est une véritable invitation au voyage et à l’exploration. Fourmillant de coffres cachés et d’éléments à récolter, il a aussi le bon goût de ne pas être trop grand. Cela permet à Midgar Studio de parfaitement maîtriser le dosage monstres/coffres et d’ainsi éviter les vastes zones vides. Chaque recoin méritera d’être fouillé pour trouver une pièce d’équipement ou déclencher une quête annexe. Au gré de vos pérégrinations, vous tomberez aussi sur d’anciennes ruines vous proposant divers casse-têtes. De quoi varier les plaisirs entre deux phases de récolte.

 

La liberté de déplacement

 

Qui dit monde ouvert, dit liberté de mouvements. Edge of Eternity ne déroge pas à la règle et vous laisse vagabonder librement dans tout le continent d’Astrya. Mais afin de garder une certaine maîtrise du rythme du jeu et de l’histoire, les développeurs ont décidé de n’ouvrir ce monde que petit à petit afin de ne pas perdre le joueur et le « forcer » à revenir à la trame principale au bout d’un certain temps. Ces différentes barrières sont à chaque fois justifiées par le scénario et s’avèrent au final une bonne idée pour maintenir notre intérêt. Pour ce qui est du déplacement en lui même, outre le voyage à pieds, vous pourrez vous téléporter grâce à divers appareils disséminés sur la carte ou chevaucher votre Nekaroo. Véritable mascotte du jeu, ce gros félin possède un flair incroyable qui vous servira à déterrer divers trésors – rappelant la chasse aux trésors de FF IX – et sera régulièrement mis à contribution au fil de l’histoire.

 

 

Indissociable des mondes ouverts modernes, la récolte de matériaux est bien évidemment au programme. Repérables de loin, car dotés d’une petite aura bleutée, ces ingrédients seront utilisés dans les établis se trouvant dans les villes. Vous pourrez créer des composants de qualité supérieures mais aussi des armes et armures essentielles pour la survie de vos héros. Malheureusement, plutôt que de ne faire qu’un établi permettant la création de tous ces équipements, l’équipe a décidé de créer un atelier par type d’objets, nous forçant à de fastidieux allers-retours entre eux. Ajoutez à cela l’impossibilité de créer ou acheter plusieurs éléments en une fois – ce qui vous force à parfois spammer la touche d’action pour refaire vos stocks – et le manque de précision sur la manière d’obtenir les ingrédients et vous finirez comme moi par préférer acheter vos armures et objets directement aux marchands. Malgré ce manque d’ergonomie, les établis resteront un passage obligatoire puisqu’ils vous donnent accès à des armes bien plus puissantes que celles vendues en boutiques.

 

Edge of Eternity : Fantaisie Française

 

Bénéficiant d’un design unique et très sympathique, les armes disposent toutes d’une sorte de sphérier. Chaque emplacement – qui se débloque avec la montée en niveau de l’arme – peut être équipé d’un cristal ce qui vous confère une amélioration de statistiques ou une nouvelle compétence. Vous obtiendrez de nouveaux cristaux très régulièrement et pourrez même les fusionner entre eux pour en créer de plus puissants. Rappelant inévitablement le système de matérias de FF VII, EoE se démarque en proposant une personnalisation plus poussée de ses personnages. Chaque sphérier offre des embranchements permettant de spécialiser vos héros dans un rôle ou de compenser leurs faiblesses. Modifiables à tout instant, ces associations seront un aspect essentiel à maîtriser si vous souhaitez voir le bout de l’aventure car les ennemis sont sans pitié.

 

Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française

 

Cœur du jeu, les affrontements s’inspirent là encore des ténors du genre. Lorsque vous déclenchez un combat avec un ennemi – visible sur la carte – vos personnages se placent sur le terrain divisé en hexagones, appelés nexus, selon la stratégie que vous aurez préalablement établie dans le menu attitré. Personnellement, ce système m’a beaucoup fait penser à Wild Arms 5. Vous pouvez donc déplacer vos héros d’un nexus à un autre pour prendre vos ennemis à revers ou éviter un assaut imminent. En effet, si certaines attaques sont dirigées contre un personnage en particulier, d’autres ciblent un ou plusieurs nexus qui sont alors mis en surbrillance, vous laissant alors le temps d’esquiver. Toutes vos actions sont régies par un système d’ATB dans le plus pur style FF. Les jauges de vos ennemis sont aussi visibles et certaines compétences nécessitant un temps de concentration peuvent être interrompues si vous frappez votre adversaire avant la fin du chargement. Mais attention, c’est valable pour vous également ! Anecdotiques au début de l’aventure, les déplacements prennent tout leur sens plus tard contre les ennemis plus coriaces et les boss.

 

Edge of Eternity : Fantaisie Française

Peu nombreux pour un JRPG, les boss sont de véritables obstacles et sont là pour s’assurer que vous ayez bien saisi toutes les subtilités du gameplay. Chacun d’entre eux nécessitent une stratégie bien particulière et, à moins d’avoir farmé pendant de longues heures, il est impossible de passer en force. Il vous faudra donc user des différentes capacités de vos personnages, de l’environnement – cristaux offrant certains boosts ou armes de siège sont parfois présents sur le terrain – mais aussi comprendre la mécanique du combat pour en sortir vainqueur. Et pour les amateurs de challenge, les batailles ont toutes des objectifs secondaires qui vous récompensent avec des objets de qualité en cas de réussite. Très plaisants et gratifiants, les boss sont le moment où l’aspect stratégique d’Edge of Eternity brille le plus. Dommage que la plupart des ennemis de base soient moins intéressants à affronter. Heureusement, vous pouvez modifier la vitesse des rixes d’une simple pression des gâchettes.

 

Très stratégique, Edge of Eternity n’est pas un jeu facile et demandera pas mal d’investissement de votre part pour passer ses pics de difficulté. Cependant le grand nombre de possibilités offert par le système de cristaux et les diverses capacités des personnages vous permettront de toujours vous en sortir même avec un niveau plus faible. Et dans le pire des cas, une super attaque bien placée pourra peut-être vous sauver in extremis !

 

Un monde de toute beauté mais un peu bugué

 

Visuellement Edge of Eternity n’est pas à la hauteur des AAA. Certaines textures sont en deçà de ce qui se fait aujourd’hui et les animations – surtout faciales – nous renvoient très loin en arrière. Conscients de leurs faiblesses, les développeurs ont compensé le manque de budget par une direction artistique très réussie. Le mélange Heroic-Fantasy/S-F fonctionne bien et m’a rappelé Mass Effect ou Xenoblade par moments. Je me suis arrêté de nombreuses fois pour admirer les paysages qui ne cessent de nous en mettre plein la vue. On sent d’ailleurs que l’équipe osait de plus en plus de choses et gagnait en confiance au fil des chapitres. Certaines zones de fin sont véritablement magnifiques. Une autre bonne idée pour compenser la technique faiblarde est d’avoir évité les gros plans sur les visages lors des dialogues et privilégier à la place de très jolis artworks réalisés par Manon Sam. Si le bestiaire est lui aussi sympathique, on peut regretter l’absence de variété parmi les ennemis qui se comptent sur les doigts de la main si l’on excepte les nombreux color-swaps.

 

Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française
Edge of Eternity : Fantaisie Française

 

Il faut aussi aborder la question des bugs. Jamais bloquants, ils vont des textures qui ne se chargent pas au freeze en plein combat. Heureusement, un simple redémarrage du jeu – qui prend quelques secondes, merci aux chargements très rapides – corrige le problème. Je n’en ai pas rencontré beaucoup durant l’aventure et l’équipe est très réactive à ce sujet, je ne doute pas qu’ils seront donc rapidement corrigés. Concernant la météo changeante et le cycle jour-nuit, si c’est plutôt réussi pour la pluie ou les tempêtes de neige, le brouillard est un peu trop opaque et rend l’exploration compliquée. De même, la nuit est tellement sombre que j’ai pris l’habitude de toujours voyager uniquement de jour. Mis à part cela, il n’y a rien de véritablement handicapant mais il vaut mieux être prévenu.

 

D’un point de vue sonore, la bande-son signée Cédric Menendez est une belle réussite et confère à chaque environnement une identité propre. D’un point de vue personnel, j’ai beaucoup aimé les thèmes de l’Avant-garde et de Tyr Caelum qui m’a rappelé Midgar à bien des égards. Largement mis en avant durant la promotion du titre, Yasunori Mitsuda a composé six morceaux pour le jeu qui raviveront de bons souvenirs aux joueurs de Chrono Trigger ou Xenoblade. Mention spéciale également au thème de fin chanté en français par Mioune qui s’avère de toute beauté. C’est d’ailleurs l’occasion de parler du doublage. Si le jeu est intégralement en français, les voix ne sont disponibles qu’en anglais ou japonais. J’ai personnellement choisi la première option et j’ai été agréablement surpris par la qualité du jeu des doubleurs. Ces derniers ont été très investis et ont su insuffler de véritables émotions aux personnages.

 

 

Vous l’aurez compris, Edge of Eternity a été un véritable coup de cœur. S’il n’est pas exempt de défauts, l’amour pour le JRPG de ses auteurs se ressent dans chaque aspect du jeu qui fait preuve d’une générosité et d’une ambition rarement vues pour un indépendant. Voulant en faire parfois trop pour son propre bien, EoE marque les esprits par une écriture remarquable de ses personnages – qui sortent des clichés habituels du genre -, ses panoramas de toute beauté et une direction artistique – tant visuelle que sonore – de haute volée. Osant la 3D et l’open-world, là où les indés ont tendance à restés bloqués dans le pixel-art, le courage de l’équipe mérite d’être salué. L’aspect stratégique des combats m’a plu de part les diverses possibilités de personnalisation disponibles. J’ai pris énormément de plaisir à parcourir le jeu, y compris ses quêtes annexes, et même si l’expérience s’est accompagnée de quelques bugs mineurs et d’une technique parfois datée, le jeu a su m’embarquer dans son univers pour ne plus me lâcher avant la fin. Si vous êtes fans de JRPG, nostalgiques des années 90-2000 ou tout simplement en manque d’une belle aventure, Edge of Eternity est fait pour vous. Midgar Studio est assurément un développeur à surveiller et j’ai hâte de découvrir la suite des aventures de Daryon pour ce qui s’annonce être les prémices d’une grande saga de JRPG à la française.