J’adore Final Fantasy XII. Son univers, son ambiance, ses personnages… Tout me fascine dans ce jeu et j’y ai passé de nombreuses heures de ma vie à en décortiquer les moindres détails. C’est pourquoi quand j’appris l’existence (et l’annulation) du projet Fortress, je fus tout d’abord terriblement déçu… Puis après quelques recherches, plutôt rassuré par l’arrêt du développement. Retour sur l’histoire du Final Fantasy XII-2 qui ne sera jamais.

 

Le 12 août 2009, le studio suédois Grin a fermé ses portes pour banqueroute. Si c’est évidemment triste pour tous les anciens employés, cette situation nous a également permis de découvrir sur quoi travaillait le studio. Et la surprise fut de taille lorsque l’on découvrit que ce Fortress était en réalité une suite de FF XII à la sauce Action-RPG, ce qui en aurait fait le premier jeu estampillé Final Fantasy non développé par un studio japonais.

 

Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour

 

Square à la découverte du marché occidental

 

En 2008, Square visita les studios de Grin qui était alors en plein développement de Bionic Commando Rearmed. Le jeu avançait bien et impressionna SE qui commanda à Grin un pitch pour un jeu basé sur la licence Lord of Vermilion, un jeu de cartes sur borne d’arcade assez populaire au Japon.

 

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Si Lord of Vermilion n’est jamais sorti en Europe, nous avons eu la « chance » d’avoir son spin-off Lord of Arcana…

 

Grin s’attela à la tache et partit présenter son idée aux dirigeants de Square. Sauf qu’entre-temps la compagnie avait changé ses plans. Grin se voit ainsi confier une nouvelle mission, celle de réaliser un spin-off de… Final Fantasy XII. L’épisode XII s’était vendu à plus de 5 millions d’exemplaires et avait reçu d’excellentes critiques. Quant à sa suite Revenant Wings, elle avait passé le million de copies vendues. La licence Final Fantasy était donc au top de sa forme et appréciée dans le monde entier. Ce qui n’était pas le cas des autres licences de Square comme Dragon Quest ou Romancing SaGa. En confiant, sa licence fétiche à un studio occidental, SE voulait chercher à comprendre ce marché afin d’y importer ses autres séries. Il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un test, ce que confirmera Ulf Andersson, l’un des co-fondateurs de Grin, afin de voir comment un studio étranger s’approprierait FF. Ainsi Square obtiendrait-il peut-être les clés qui lui manquait pour percer en occident.

 

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Ivalice, sa forteresse et ses vikings

 

Plutôt que de partir de zéro, Grin décida d’utiliser une idée qu’il avait en stock depuis un moment. Le jeu, qui aurait été un Action-RPG, se déroulerait donc intégralement dans un seul et même endroit, une forteresse (d’où le titre) qu’il faudrait défendre contre des vagues d’ennemis. L’action prendrait place dans une toute nouvelle région située au nord d’Ivalice et possédant une esthétique scandinave très poussée : vikings, huttes de bois, grandes prairies entourées de pics enneigés…

 

Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour
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L’équipe progressait bien jusqu’à ce que Square demande de remanier entièrement l’aspect artistique du jeu. Celui-ci ne ressemblait pas assez à l’Ivalice que les joueurs connaissaient et proposait trop peu de références à Final Fantasy. Grin dut retirer beaucoup d’éléments nordiques ce qui entraîna la disparition de nombreux environnements déjà terminés et obligea l’équipe à modifier énormément de choses, provoquant un retard considérable dans le développement du jeu. Pour pallier à cela, le studio affecta la quasi-totalité de ses effectifs sur le jeu, si bien que Grin était complètement dépendant de l’argent fourni par Square Enix.

 

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Les développeurs poursuivirent leur travail mais Square continuait de réclamer la disparition des éléments à connotation « viking », chose que ne voulait pas faire Grin. Le studio suédois maintenait que cela ne poserait pas de problèmes puisqu’il s’agissait d’une nouvelle région. Il n’empêche que les environnements et éléments étaient sans cesse modifiés si bien que les autres aspects du jeu comme le gameplay ou la musique restèrent à un stade embryonnaire.

 

Le dialogue avec Square se fit de plus en plus compliqué : les messages se perdaient entre tous les intermédiaires et la compagnie japonaise avait des demandes totalement absurdes (Grin devait envoyer l’intégralité du code du jeu, musiques comprises, par… fax). Et puis début août 2009, la nouvelle tomba : Square Enix se retire du projet et ne paierait donc plus Grin qui mit la clé sous la porte une semaine plus tard.

 

Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour
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Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour

 

Si l’on est tenté de dire que Square Enix est le méchant de l’histoire, la vérité est plus compliquée que cela. Outre le désaccord sur la direction artistique et les difficultés de l’équipe a rendre leur jeu plus « FF », c’est l’aspect financier qui décida SE. À cette époque, la totalité des employés de Grin travaillait sur Fortress. Le studio n’avait donc aucun autre contrat en cours et à ce rythme l’argent fourni par Square se serait vite montré insuffisant. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que le studio suédois ne ferme emportant avec lui le projet et l’intégralité du financement de Square Enix. C’est donc un choix cruel mais tout à fait logique économiquement parlant. Même si la communication et la « coopération » de SE laissait à désirer…

 

Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour

 

Suite à cela, le projet refit parler de lui brièvement lorsqu’une image parlant d’un jeu nommé Valiant Saga fuita. Ce jeu devait se dérouler 10 ans après les événements de FF XII. Ashe et un mercenaire solitaire s’alliaient pour libérer la forteresse de Faram d’un culte maléfique… Développé par Eidos (que SE venait de racheter), Valiant Saga ressemblait beaucoup à Fortress. Le projet disparaîtra définitivement à l’E3 2011, Motomu Toriyama annonçant son annulation. Yoshinori Kitase ajoutera même qu’il y avait très peu de chance, si ce n’est aucune, de voir un jour un autre studio occidental travailler sur un Final Fantasy. Mais à quoi devait ressembler ce Fortress ? Eh bien figurez vous qu’avec les visuels du jeu, l’intégralité du scénario s’est également retrouvé sur Internet. Il est temps de décortiquer tout cela !

 

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L’image montrant l’existence de Valiant Saga

 

I’m Captain Basch fon Ronsenburg of Dalmasca !

 

Tout au nord d’Ivalice se trouve une immense forteresse bâtie entre deux montagnes bloquant totalement l’accès au continent depuis la mer. Il s’agirait du seul rempart contre Loemund, le roi des mers, qui se réveillerait tous les 10 000 ans pour tenter d’envahir Ivalice. Si pour beaucoup ce n’est qu’une simple légende, un homme prendra toutefois cette menace au sérieux et marchera à la tête d’une armée en direction de l’ancienne citadelle. Cet homme, c’est Basch fon Ronsenburg, l’un des héros de FF XII et nouveau haut-juge responsable de la sécurité de l’empereur Larsa. Une fois arrivé à la forteresse, il s’avérera que la légende était vraie, une immense armée arrivant depuis la mer.

 

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S’en suivra un combat acharné contre des hordes ennemies qui seront vaincues grâce à l’intervention d’Ashe et ses soldats. Suite à cela le jeu alternera phases de combat à grande échelle et exploration des alentours de la forteresse en quête de ressources. Ces séquences avaient été rajoutées pour permettre au joueur de « respirer » un peu en sortant de l’enceinte du château. Il aurait ainsi été possible de chevaucher un chocobo afin de voyager plus rapidement, les vaisseaux n’étant pas présents dans le jeu. Cette absence était voulue par les développeurs comme un moyen de « fermer » et restreindre la carte, le joueur devait se sentir isolé du reste du monde. Tout cela sera justifié par la présence d’un cristal flottant au-dessus de la forteresse empêchant les vaisseaux d’approcher.

 

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La carte du jeu

 

Le jeu était découpé en 8 chapitres et s’étalait sur 2 ans, ce qui aurait permis de voir l’environnement changer au fil des saisons. Les ennemis se seraient enfoncés de plus en plus profondément dans la forteresse forçant Basch et ses alliés à se barricader pour empêcher Loemund de récupérer son heaume magique qui lui restituerait tous ses pouvoirs. Chaque chapitre devait se terminer par un combat contre un boss géant, tel qu’un immense Kraken / Xylomid, qui aurait obligé le joueur a d’abord trouver un moyen d’atteindre le point faible du monstre à la manière d’un Shadow of the Colossus.

 

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Outre la reine Ashe, le joueur aurait pu croiser et faire équipe avec plusieurs anciennes têtes connues : Larsa, Zargabaath (qui confrontera d’abord Basch en découvrant qu’il n’est pas le « vrai » Gabranth), Balthier et Fran. Ils seront accompagnés d’un nouveau personnage, Laegd, un demi-dieu combattant pour Loemund mais qui prêtera allégeance à Basch lorsque celui-ci le battra en duel. Si retrouver d’anciens héros aurait sûrement ravi les fans, leurs traitements auraient peut-être fait grincer quelques dents… Si Balthier et Fran sont réduits au simple rôle de « personnages sortant de nulle part pour sauver tout le monde » et que Zargabaath récupère un rôle similaire à celui de Vossler (il connaîtra d’ailleurs la même fin), Ashe et Larsa ont droit à un développement plus étrange. En effet, avec Basch, ils forment le classique triangle amoureux présents dans déjà tant d’œuvres. Notre juge est donc amoureux de la reine Ashe qui elle se rapproche de Larsa durant l’aventure (lors de scènes rappelant fortement le couple Eowyn / Faramir du Seigneur des Anneaux). Tout se résoudra à la fin : Basch choisira son devoir en restant pour affronter Loemund dans un ultime combat qui lui coûtera la vie. Ashe et Larsa, quant à eux se marieront scellant ainsi définitivement la paix entre leurs deux royaumes… Oui, ça n’a pas vraiment de sens lorsque l’on se remémore les événements de FF XII et Revenant Wings. Et on attaque là l’un des principaux problème de ce projet mort-né : la méconnaissance du matériau de base.

 

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Le mariage d’Ashe et Larsa

 

Il y a un chocobo, c’est forcément un FF !

 

Comme nous l’avons vu précédemment, l’aspect visuel du titre était un gros point de désaccord entre Grin et Square Enix. Il faut avouer qu’il est difficile de reconnaître l’univers de Final Fantasy XII lorsque l’on regarde les différents artworks… Pourquoi Grin a-t-il choisi cette voie ? Il y a plusieurs raisons à cela.

 

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Ivalice ou la Terre du Milieu ?

 

Fortress n’a pas été créé pour être un spin-off de FF XII. Le projet traînait dans les tiroirs de Grin depuis un moment. Le studio l’a donc ressorti et a tenté d’y rajouter quelques éléments rappelant la saga. Un gros travail de préparation ayant déjà été accompli, il est normal que les développeurs aient tenté de conserver le plus d’éléments possibles malgré les revendications de SE. Mais c’est aussi l’une des principales raisons pour lesquelles le jeu n’aurait pas pu fonctionner. Créer une œuvre et ensuite y apposer des éléments d’une autre licence sans les comprendre ni les penser dès le début du développement, n’en fera pas un bon jeu. Il suffit de voir les derniers films Star Wars ou bien certains spin-offs de Metal Gear ou Resident Evil

 

Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour
Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour
Fortress : la suite de Final Fantasy XII qui ne verra jamais le jour

 

Cette incapacité à comprendre les codes de la série est compréhensible : une grande partie de l’équipe ne connaissait pas FF XII quand certains membres n’avaient même jamais joué à l’un des épisodes de la série ! Dès lors comment espérer capturer l’essence « FF » pour l’insuffler dans leur jeu ? Et ce n’est pas en reprenant quelques créatures du bestiaire (tout en les rendant plus «gritty», comprenez plus sombre, dixit les développeurs) ou quelques assets que les joueurs auraient été dupes.

 

Concept pour un mog
Concept pour un mog
Un mog accompagné d'étranges créatures
Un mog accompagné d'étranges créatures
Les chocobos avaient l'air bien plus méchants...
Les chocobos avaient l'air bien plus méchants...
Léviathan version Fortress
Léviathan version Fortress
Le tomberry était assez terrifiant
Le tomberry était assez terrifiant

 

L’esthétique très réaliste du jeu ne convenait tout simplement pas à un Final Fantasy et encore moins au douzième épisode qui possède un background très étoffé et une direction artistique unique dans la série. Dire qu’un environnement nordique à la Skyrim fonctionnerait très bien dans un jeu basé sur FF XII, parce qu’après tout il y a certaines zones inspirées du Moyen-Orient dans le jeu de base, est une preuve de plus de l’incapacité de Grin à saisir l’esprit Final Fantasy. Lorsque l’on sait que mêmes SE a du mal à définir ce qui fait d’un FF un FF, il était impossible qu’un studio occidental, avec des codes et influences extrêmement éloignées de celles du géant japonais, y parvienne. Cette définition de Final Fantasy pourrait d’ailleurs être un sujet intéressant à traiter à l’avenir…

 

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Un artwork représentant Basch affrontant la forme finale de Loemund

 

Les autres aspects du jeu comme l’écriture des personnages (Basch et Ashe sérieusement ?) ou la narration très linéaire et classique (même s’il ne s’agissait là que de prémices) me conforte dans l’idée que Fortress n’aurait pas rendu hommage à Ivalice et Final Fantasy XII. Pour ce qui est de la musique, seul le morceau « Crystal Theme » composé par Erik Thunberg a été rendu public. Je vous laisse juger par vous-mêmes. Personnellement, je le trouve plutôt sympathique.

 

Ainsi s’achève cet article consacré à Fortress, un projet voué à l’échec dès le départ. Depuis les coopérations entre studios japonais et occidentaux se sont faites rares et ont presque toutes finies en échec ou annulation (Project Phoenix, Unsung Story…). À se demander s’il n’y a pas une malédiction sur ces projets… Et vous ? Qu’avez-vous pensé de l’histoire de Fortress ? Auriez-vous aimé que le projet aboutisse ou êtes vous rassurés ? Quant à la coopération entre studios occidentaux et japonais, pensez-vous qu’elle soit possible ? N’hésitez pas à faire vos retours dans l’espace commentaires ou sur les réseaux sociaux. Nous avons aussi un Discord où vous pouvez interagir avec toute l’équipe. Je laisse le mot de la fin à Ulf Andersson qui déclara dans une interview : « Il avait beaucoup de potentiel et le jeu aurait été génial si nous avions pu le faire tel que nous le souhaitions. Mais en même temps, je pense que Square Enix a fait le bon choix en annulant totalement le projet. »