Faire vivre le patrimoine Final Fantasy. Un leitmotiv dont nous nous revendiquions dans notre dernier édito, et qui prend aujourd’hui un sens tout particulier avec l’inauguration de notre nouvelle chronique mensuelle, #Reset, où nous nous replongerons chaque mois dans un ancien titre de Square Enix. L’idée est à la fois de revenir sur son accueil d’antan, mais aussi de le confronter avec nos réalités ludiques actuelles, et d’apprécier ce qu’il a pu apporter, ou ce pour quoi il a pu tant diviser. Nous comptons sur vos réactions pour enrichir cet échange qui se nourrira de vos anecdotes. Nous partagerons parfois des coups de cœur, mais aussi des divergences, retenons en tout cas que l’essentiel est de pouvoir échanger autour de ces souvenirs qui ont forgé notre rapport à l’éditeur, et à Final Fantasy.

 

L’évocation de Dirge of Cerberus suscite toujours des réactions embarrassantes sur nos réseaux communautaires. Si quelques uns espèrent une version remastérisée pour ce titre pour l’instant exclusif à la PS2, beaucoup dénoncent une maniabilité abominable, et des intentions plus ou moins louables. Mon souvenir était pourtant bien plus bienveillant bien qu’extrêmement conscient des insuffisances du jeu. Final Fantasy VII Remake a fait office de déclic et m’a donné l’envie de me replonger dans ce spin-off vieux de bientôt 15 ans. Non sans appréhension il faut le dire, car la peur de se focaliser sur ses tares plutôt que ses qualités m’a longtemps dissuadé de m’y replonger.

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

Des variations maladroites pour une expérience d’un autre âge

Nous parlions de lucidité un peu plus haut, et nous pourrons difficilement passer sous silence les faits puisque Dirge of Cerberus souffre de tares ludiques inexcusables. Le titre livre l’essentiel de son potentiel en à peine une heure sans jamais se renouveler (qu’il s’agisse des armes dont on fait le tour très vite ou du bestiaire qui se renouvelle si peu), et se vautre lamentablement lorsqu’il tente d’offrir quelques variations. On pense notamment à cette scène tout à fait rocambolesque où l’on nous invite à incarner Cait Sith dans un moment qui feint l’infiltration avant que plusieurs game overs punitifs (deux, pour être tout à fait honnête) ne nous fassent comprendre qu’en définitive, il vaudra mieux tracer son chemin sans trop se soucier des ennemis vers la canalisation qui nous fait face, pour en finir avec cette parenthèse mal exécutée.

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

D’autres variations interviennent depuis les yeux de Vincent mais on en ressort toujours un peu gêné tant ça ne fonctionne pas, ou en tout cas tant ça ne procure rien. Ces moments sont à la fois mal exécutés, et surtout bien trop longs. Parce que Dirge of Cerberus est pétri de bonnes intentions malgré ses maladresses que certains n’excusent pas (on peut le comprendre, et difficilement les en blâmer). C’est pourtant en grattant ce verni lourdingue qu’on finit par se prendre de tendresse pour une expérience perdue dans ses expérimentations.

Des ressorts narratifs tirés par les cheveux sauvés par quelques belles étincelles

Dirge of Cerberus est à la fois terriblement étriqué dans un écrin techniquement indigne, et en même temps incroyablement ambitieux avec ses quelques cinématiques qui n’ont pas grand chose à envier à Advent Children et qui mettent en scène des personnages inédits face au nouvel ennemi incarné par Deepground, l’enfant terrible de la Shinra, une organisation secrète fondée par l’entité. Là encore, Dirge of Cerberus ne brille pas par sa trame scénaristique alambiquée qui sert surtout de prétexte à quelques flashback qui permettent d’en apprendre enfin davantage sur le trio Vincent/Lucrecia/Hojo. Si l’arc Deepground est à tout à fait grotesque, il permet heureusement d’introniser quelques protagonistes finalement assez marquants, on pense notamment au duo Shalua/Shelke qui malgré ses atours archétypaux s’en sort dignement et permet à Vincent Valentine de se confronter à ce qui le retient à l’humanité.

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

Alors que Dirge of Cerberus aurait pu très volontiers poncer les environnements que les fans de la compilation Final Fantasy VII connaissent sur le bout des doigts, il préfère se réfugier des des teintes froides et chromatiques jusqu’à l’écœurement. Même lorsqu’il tente de renouer, en fin d’aventure, avec des environnements connus (manoir de Nibelheim, Tour Shinra), on semble évoluer en terrain hostile et inconnu. Des choix artistiques qui laissent perplexe, surtout lorsqu’on retrouve dans des cinématiques flamboyantes tout le folklore de Final Fantasy VII incarné par l’équipe Cloud/Tifa/Barret se frottant aux nouveaux antagonistes incarnés par, notamment, Rosso et Azul. DOC se refuse donc à la facilité de fresques amicales pour des teintes froides.

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

Une critique acide pour une expérience qualifiée de bancale

Nous nous sommes replongés dans les critiques de l’époque, évidemment peu élogieuses, puisque JeuxVideo.com sanctionne sévèrement le titre avec un 11/20 presque offensant et sanctionnant

« une redondance nonchalante synonyme de gunfights apathiques, de phases de plate-forme limitées et de progression lénifiante. ».

Beaucoup de jolis superlatifs pour au final dénoncer une expérience ludique abîmée par son manque d’ambitions et ses tentatives ratées. Gamekult ne s’est pas montré plus clément avec un 4/10 dénonçant une expérience « bancale » et un «level design très peu inspiré ». Sur le fond, nous ne pourrons que nous accorder sur les défauts du titre qui se perd évidemment à cause d’une narration manquant de punch,et de phases de jeu qui manquent de précision et d’impact.

Un héros mélancolique évoluant dans un univers chromatique

Au fond, Dirge of Cerberus est à l’image de son héros, mélancolique avec son grain chromatique, maladroit avec ses airs empotés et ses échanges ponctués de longs silences, et pourtant si généreux avec son feeling complètement old-school et qui finit par complètement s’assumer en prenant brusquement conscience de ses insuffisances, et en s’appuyant sur une nouvelle palette de protagonistes absolument perdue. Il y a ces antagonistes presque grossiers mais qui assument leur condition jusqu’au boutisme préférant le suicide et le sarcasme aux atermoiements et à l’humiliation, et ces nouveaux venus à la froideur (Vincent, une fois encore), pas tout à fait désespérée mais très abîmée.

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

Les réminiscences d’AlxZ_Rex

En 2003, Square Enix ouvrait la boite de Pandore en proposant Final Fantasy X-2, première suite directe d’un épisode numéroté. Le jeu rencontrant un certain succès commercial, il démontra l’intérêt des joueurs de vivre d’autres aventures dans les univers qu’ils ont apprécié. Plusieurs projets furent donc lancés, parmi lesquels celui de Yoshinori Kitase qui voulait un jeu de tir dans l’univers de Final Fantasy (chose qui avait été expérimentée dans FF X-2 dans une moindre mesure). Après avoir un temps envisagé Irvine Kinneas de FF VIII ou Yuna de FF X-2, il décida d’utiliser Vincent Valentine lorsque le projet fut rattaché à la Compilation of Final Fantasy VII. Après de nombreux déboires, dus à l’inexpérience de l’équipe dans le domaine du FPS, Dirge of Cerberus – Final Fantasy VII sort chez nous le 11 novembre 2006.

Lorsque j’ai inséré le disque dans ma PS2, je m’attendais à une sorte de Devil May Cry 3 (sorti quelques mois plus tôt) à la sauce FF VII. J’étais très loin du compte. Après une cinématique d’introduction magnifique, je me retrouve aux commandes de Vincent et c’est une petite désillusion… Les contrôles sont mous, le personnage un peu pataud, les décors ternes… Mais ce n’est que le premier niveau et je poursuis avec le suivant, intrigué par cette histoire de Deepground et curieux de voir l’après Advent Children. Cependant, je m’apercevrai rapidement que le scénario ne faisait absolument pas honneur au jeu original, ni au personnage de Vincent… Et pourtant, j’aime ce jeu et y rejoue avec plaisir.

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

Le gameplay et la construction des niveaux rappellent les jeux d’action des années 90 : une progression linéaire à base de cartes/clés, des vagues d’ennemis à chaque salle, un système de score en fin de niveau… Ce qui en 2006, donne un petit côté old-school au jeu, du moins à mes yeux. Ce qui ne l’empêche pas de proposer des choses plus « modernes » comme une personnalisation des armes assez poussée et satisfaisante ou bien encore la présence de missions annexes qui offrent une certaine rejouabilité au titre pour quiconque veut toutes les compléter. Quant à la possibilité d’alterner entre trois types d’armes selon les situations, ainsi que la capacité de se changer en bête gallienne, elles permettent de diversifier un peu plus le gameplay. Au final, les phases de jeu sont plaisantes malgré certains passages très crispants (l’infiltration de Cait Sith en tête).

Il est temps d’aborder le scénario. Hérésie pour certains, travaillé et apportant des éclaircissements bienvenus pour d’autres, il n’a laissé personne indifférent. Difficile de faire suite à l’un des jeux les plus appréciés de sa génération. C’est peut-être cette pression qui poussera l’équipe de développement à se concentrer sur le passé de l’ancien Turk, plutôt que de véritablement offrir une suite à l’histoire. Dans FF7, le personnage de Vincent a été rajouté très tardivement, ce qui explique d’une part son statut de personnage caché et d’autre part la quasi-absence de background le concernant (à part une scène cachée laissant libre cours à de nombreuses interprétations).

Dirge of Cerberus : un nanar maladroit qui vous veut du bien

Dirge of Cerberus corrige cela et développe la relation Vincent/Lucrecia/Hojo à travers de nombreux flashbacks et dialogues. Si l’intention était bonne, la manière de faire l’est moins. Le personnage de Hojo semble rajouté de force pour au final simplement nous rappeler qu’il est vraiment détestable. Lucrecia et Vincent deviennent des amants maudits mais la dramatisation des dialogues et la mise en scène qui en fait des tonnes finissent par rendre cette romance un peu ridicule par moments. Pour ce qui est de l’intrigue, l’ajout des soldats Deepground fait fi de toute logique, ces derniers étant sagement restés sous terre pendant des années sans qu’aucune mention n’en soit jamais faite… Heureusement le charisme de ces nouveaux protagonistes rattrape un peu les choses même si une fois encore leur écriture laisse à désirer. Ces derniers restant figés dans leur rôle (à l’exception de Shelke) jusqu’à leur mort.

Dirge of Cerberus est, un peu comme ces « nanars » que j’aime tant, rempli de défauts mais qui déborde de passion et en devient attachant au fil du temps. Le fait de revisiter Midgar en compagnie du personnage le plus mystérieux de l’opus de base a un charme rétro et c’est avec plaisir que je lui pardonne ses égarements à chaque nouvelle partie.

 

Dirge of Ceberus était à cet égard un jeu déjà très abîmé en 2006, il l’est d’autant plus aujourd’hui, mais ses airs écorchés lui confèrent un charme fou. On le clame aujourd’hui haut et fort, et même si ce sentiment restera marginal, mais merci à Dirge of Ceberus d’avoir offert à M. Vincent Valentine quelques heures égoïstes, perdues et loin de tout (et surtout de Final Fantasy VII Original), pour nous permettre de communier pour la première (et la dernière) fois autour d’un destin tragique. Car la plus grande tragédie du titre ne tient pas tant à ses atermoiements ludiques qu’à la désespérance de ses acteurs.