C’est une chronique un peu plus singulière que l’on partage avec vous aujourd’hui puisqu’il s’agit de celle d’un lecteur expatrié au Japon qui nous livre donc une vision différente et un regard neuf sur ce remake. Nous remercions infiniment l’auteur pour cette jolie contribution que nous partageons avec vous. Continuez de nous envoyer vos commentaires passionnés, nous nous ferons une joie de les partager. 

Vivant à Tokyo et étant passionné de culture japonaise, j’ai nourri mes références au travers des excellents JRPG qui sont arrivés en Europe depuis la fin des années 90. Final Fantasy VII m’a permis, au travers de Midgar, de m’initier à l’ambiance de la ville de Tokyo avant d’y vivre pour de bon. Qu’en est-il aujourd’hui avec ce Remake tant attendu ? Quelle est sa relation avec la culture pop japonaise, et celle du monde ?

Émotions & Ambiance

L’une des composantes principales de ce Remake, tout comme l’original, est l’emphase sur l’émotion. Dans la narration japonaise, c’est un des thèmes les plus largement représentés sur l’ensemble des supports populaires au Japon (Your Name ou The Silent Voice en film d’animation, Sword Art Online en Light Novel à l’origine, l’omniprésence des dramas en télévision…).

Pour Final Fantasy VII Remake, le soin apporté à la transcription des émotions au sein des personnages fait l’unanimité à juste titre. La justesse d’écriture des personnages ainsi que l’animation saisissante des expressions faciales permettent aux joueurs de s’immerger très facilement dans le récit et de vivre beaucoup plus pleinement les émotions des personnages vis-à-vis de l’original. D’un point de vue plus personnel, je faisais parti de cette tranche de joueur qui n’était pas parvenue à me lier d’affection avec Aerith dans l’original : la prouesse d’écriture du personnage, et la qualité du doublage anglais (je tenterai le japonais en Hard Mode) m’ont fait chavirer de bout en bout.

Final Fantasy VII Remake vu depuis le Japon : direction, choix et intentions

Mais l’emphase ne se limite pas à la narration et ses personnages si l’on se place du point de vue nippon. La puissance de l’original résidait dans son univers, et en particulier sur le chapitre de Midgar : imaginez-vous en salaryman japonais moyen, rentrer d’une journée de travail aliénante rythmée de tâches répétitives déléguées par un chef de service au faciès porcin, ne trahissant sa position que pour parler de golf. L’unique objectif est la gloire d’une entreprise qui ne vous importe guère, et vous n’attendez que de pouvoir vous divertir sur votre console de salon. Internet balbutiant à peine, vous avez pu vous procurer le jour de la sortie ce Final Fantasy VII, très attendu par le public comme le Final Fantasy de l’avenir (en 3D !), après le succès du 6eme opus qui a même su s’exporter aux USA. Vous découvrez alors Midgar, une transfiguration de Tokyo dans un univers Cyberpunk, avec un héro nonchalant qui se déplace debout sur la toiture des trains…

Final Fantasy VII réalisait alors, et réalise encore aujourd’hui dans le Remake ces fantasmes inavoués de la société japonaise : venir faire éclater les émotions et les immeubles (ou réacteurs mako), s’imaginer courir sur la toiture des trains de la ville, foncer à grande vitesse sur les autoroutes à moto en faisant tournoyer une épée démesurée… Ce furent les éléments essentiels du caractère inoubliable de l’original, et ils sont aujourd’hui sublimés dans ce Remake, poussés dans leur extrême limite. Parfois peut être un peu trop loin : la double-dose de combat à moto, pour terminer sur un boss qui est finalement plus répétitif que challengeant, perd de sa puissance dans ce Remake en voulant trop en faire à mon sens. On retrouve les sensations du mini-jeu original, sans avoir la folie des grandeurs des scènes d’Advent Children qui m’avaient transporté davantage.

Final Fantasy VII Remake vu depuis le Japon : direction, choix et intentions

Sans revenir sur ce qui a été relevé à plusieurs reprises concernant l’aspect technique des visuels et décors, il me semblait important de conclure cette partie sur la portée culturelle des détails. Final Fantasy a toujours été connu pour son travail d’orfèvre dans les décors et ses cinématiques, ce que l’on retrouve de manière inégale dans ce Remake. Ce qui saute aux yeux en revanche, lorsque l’on est Tokyoïte, c’est l’omniprésence des références au quotidien. Le Remake a su transcender cet état d’esprit offert par l’original en lui donnant une portée plus palpable et réaliste : on retrouve ainsi au premier plan les distributeurs automatiques, mais de manière plus subtile les tôles rouillés et ondulés des vieux bâtiments des quartiers modestes d’Osaka ou Tokyo, les rues sinueuses et labyrinthiques, les enseignes lumineuses des magasins et restaurants empilés sur les façades des immeubles, les blocs grisâtres des systèmes d’air conditionné flanqués à l’arrière des immeubles…

Une direction, des choix, et surtout beaucoup d’intentions

Une dimension essentielle du Remake est sa direction. Le sacre qui a été conféré à l’épisode original nécessitait une revisite qui puisse rendre hommage au jeu d’origine tout en proposant une expérience riche pour les joueurs, mais aussi pour l’équipe en charge du projet. L’industrie vidéoludique au Japon a toujours été particulière, et Square Enix n’y fait pas défaut. L’interview de la direction publiée dans l’Ultimania dédié à Final Fantasy VII Remake est un très bon support pour mieux comprendre les choix et les intentions portées pour cette première partie du Remake et les suivantes. On peut tout d’abord soulever l’affect que porte toujours l’équipe d’origine au jeu original, qui n’est pas forcément partagé par la direction générale de Square Enix :

Kitase  :

« […] La plupart des membres de l’équipe qui avait travaillé sur la série Final Fantasy étaient assignés à d’autres projets, nous avons donc débuté le projet Remake avec du personnel de divisons externes. Toutefois, comme nous souhaitions conserver la qualité d’un épisode de la série, nous avons décidé qu’il était nécessaire d’avoir une équipe avec de l’expérience sur un Final Fantasy. Nous avons dû faire de grands changements dans l’organigramme pour s’accommoder du projet »

Ce choix, pertinent de la part de Kitase, met en lumière la stratégie de production initiale de l’entreprise qui n’avait pas placé les ressources optimales pour offrir une qualité maximum sur le Remake. Cet état d’esprit de choix admis, qui doivent être perçus par les managers sans se concerter, est très fréquent dans les structures japonaises. Le choix de Kitase a donc eu un impact important sur la forme finale du Remake. Un autre exemple de cette manière de procéder se retrouve dans la position de Nomura en tant que directeur. Celui-ci ne fut mis au courant de sa position qu’à un stade avancé du développement au travers d’un visionnage des crédits du jeu. Il fit part de sa surprise à Kitase (directeur du FFVII original) qui lui répondit « mais bien sûr que c’est toi ! ».

Final Fantasy VII Remake vu depuis le Japon : direction, choix et intentions

Un autre aspect du jeu, décrié par de multiples critiques, trouve ses racines dans cet état d’esprit consensuel à la japonaise : les quêtes annexes. Paraissant dépassées face aux gros calibres du genre RPG des dernières années (Skyrim ou The Witcher 3 pour citer l’évidence) la raison du rendez-vous manqué est en fait plus subtile. Le respect d’une hiérarchie dans les personnes et les idées rigidifient beaucoup les innovations au Japon, malgré l’image de pays novateur dans notre imaginaire occidental. La construction de ces quêtes annexes a été vue comme un moyen de faire respirer le joueur au milieu d’un scénario très dense, en proposant des petits épisodes annexes… Oui, nous sommes tout à fait dans la logique des épisodes « filler » que l’on retrouve sur des séries comme Naruto, et il faudra encore de la patience pour que les mentalités évoluent dans les équipes japonaises.

Finalement, la direction de Nomura est très présente sur deux aspects : l’emploi des fileurs du destin, permettant de faire lentement basculer le jeu dans une mouture plus propre aux ambitions de Nomura, ainsi qu’à la fin du jeu où le directeur s’exprime sans pudeur. On retrouve enfin un rapport différent à la notion de « Remake » qui n’a pas la même connotation en français qu’en japonais, où la notion de réécriture est bien plus présente. Il reste ensuite les sens que Nomura donne au mot Remake :

« Je ne peux pas encore vous répondre sur les autres sens du mot Remake. Demandez-moi d’ici quelques années (rires) »…

Le choc des cultures

Pour terminer cette chronique, je souhaitais vous partager une dernière couche, et non des moindres, qui constitue l’interface entre notre culture et la culture japonaise : la notion de culture shock.

Dans le jeu original, le comble du culture shock se retrouve inévitablement au Wall Market : un lieu de « tous les vices » comme on se plaît à l’imaginer. Mais qu’en est-il vraiment du point de vue du Japon ? Le Wall Market représente en fait de nombreux éléments qui existent réellement dans la société japonaise, tout en exagérant certains aspects. Que ce soit le club de culturiste, perception d’une Amérique en pleine prise de testostérone qui s’insère petit à petit dans le quotidien sportif des japonais ; le Honey Bee Inn ou la parfaite représentation du Kabukicho (le quartier rouge de Tokyo) abritant nombre de gentlemen’s club et autres kiabakura ; ou encore le snack bar ( genre de karaoké) où l’on doit aider une jeune femme à se remettre d’une soirée trop alcoolisée aux toilettes, les codes de société sont pleinement représentés. Ces différents lieux existent toujours et leur représentation est toujours aussi pertinente en 2020. Je vous invite d’ailleurs à vous renseigner sur ces différents termes si vous ne les connaissez pas, cela vous permettra de mieux comprendre le sous-texte du jeu en version originale et dans le Remake !

Final Fantasy VII Remake vu depuis le Japon : direction, choix et intentions

Néanmoins, le Remake ne possède pas la même attente et la même portée que son prédécesseur. Il s’adresse maintenant à un public international, et a dû réviser ses enjeux pour mieux lui parler. Je trouve le pari vraiment réussi, tout particulièrement pour la scène du Honey Bee Inn et la nouvelle scénarisation du travestissement de Cloud qui souligne sans trop en faire la position des courants LGBT+ à travers le monde. J’ai aimé pouvoir retourner dans ce lieu à plusieurs reprises et voir son importance s’étoffer, remplaçant même dans une certaine mesure le rôle du Gold Saucer.

C’est sur cette idée que je souhaite vous laisser : le Remake ne peut pas s’adresser aux joueurs de la même manière que l’original car il se doit de parler au monde entier aujourd’hui. Les fantaisies de l’équipe originelle doivent survivre à la pression intense de la direction générale, de la rigidité du système japonais, et aux attentes gigantesques d’un marché mondiale aux multiples facettes.Je retrouve un sentiment similaire aujourd’hui via Persona 5 Royal : alors que Persona 5 est sorti sans trop se faire remarquer en occident, outre sa communauté dévouée et les afficionados de JRPG, il est aujourd’hui surexposé via son complémentaire Persona 5 Royal et l’apparition de Joker, le personnage principal, dans Super Smash Bros. Ultimate. Le monde découvre les codes sociaux du Japon et toutes les subtilités qui résident dans les non-dits au sein de Persona 5 Royal, tout comme ce fut le cas avec Final Fantasy VII autrefois.

Final Fantasy VII Remake vu depuis le Japon : direction, choix et intentions

Final Fantasy VII Remake m’a transporté tout autant que de nombreux autres grands noms du JRPG. Il sera inoubliable car c’est sa destinée, en bien ou en mal. Je suis heureux de voir qu’un nombre grandissant de personnes s’y intéresse, et je pense qu’il faut savoir lâcher prise sur sa réécriture pour qu’il réunisse le plus de monde possible. Je ressens la même appréhension pour l’avenir de Persona, qui est une autre série chère à mon cœur, mais il en va ainsi des légendes qui se poursuivent. Espérons que la multiplication des références à la culture japonaise dans les médias permettra aux joueurs de mieux saisir les non-dits et subtilités de ces jeux au fil du temps.

Pirakun