Lors de la Japan Expo 2014 en juillet dernier, nous avons eu la chance de participer à une interview avec Kamui Fujiwara, le dessinateur du manga « Dragon Quest – Emblem of Roto ». Et c’est à l’occasion de la sortie du 5e tome ce mois-ci (aux éditions Ki-oon) que nous vous partageons cette rencontre :

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01) FFDream : Quel est votre rapport avec la série des jeux « Dragon Quest » ? Avez-vous déjà joué à un des jeux, et si oui, quel est votre préféré ?

Oui j’ai déjà joué à cette série, je l’aime beaucoup ! Mon opus préféré est l’épisode 3.

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02) Le 3, c’est bien l’épisode qui est à l’origine d’une loi au Japon, interdisant qu’il sorte en semaine pour prévenir l’absentéisme scolaire ? A cette époque, où étiez-vous lors de la sortie de l’épisode 3 ?

J’ai un peu de mal à m’en souvenir (Ndlr : le jeu est sorti la première fois sur NES en 1988 au Japon) mais je me souviens ne pas avoir fait la queue, je n’étais pas parmi les acheteurs forcenés le jour de la sortie. J’ai acheté les 3 premiers chez mon revendeur habituel, et puis à partir du 4, je les recevais directement chez moi grâce aux gens de chez Enix.

03) Comment êtes-vous arrivé sur le projet d’ « Emblem of Roto » ?

J’étais très fan du jeu, j’avais toujours eu envie de transformer cet univers en manga. J’ai même fait des essais moi-même, dans mon coin en tant que fan.
Quand Enix a lancé son magazine de publication (Ndlr : Shônen Gangan), j’ai décidé de postuler pour faire une adaptation de la série.

04) FFDream : Qu’est-ce qui symbolise le mieux « Dragon Quest » selon vous ? Quand on adapte en manga un jeu comme « Dragon Quest », que doit-on retenir pour se dire « ça, c’est un Dragon Quest » ?

Pour ce qui est du jeu, c’est un peu difficile de dire exactement ce qui fait vraiment la nature d’un « Dragon Quest ». Pour le manga, ce qui le définit le mieux à mes yeux, c’est une scène que vous lirez bientôt : une bataille entre le héros et le roi des bêtes avec son armée de 10 000 créatures ! Pour moi, cela représente bien le manga.

05) Quel est le cahier des charges quand on se voit confier « Dragon Quest » ? Quel est la marge de manœuvre pour l’auteur par rapport à la licence ?

Imaginez-vous qu’à l’époque, les jeux sortent sur Nes. « Dragon Quest III » par exemple, n’est qu’un petit amas de pixels comparé à ce que l’on peut avoir maintenant. La représentation que l’on se faisait des monstres étaient souvent éloignés des designs originaux. J’ai donc fait avec ce que j’avais imaginé à partir de mon expérience de joueur et plusieurs fois on m’a dit : « ah non, le monstre ne ressemble pas du tout à cela ». On m’a montré les designs originaux, effectivement ça n’avait pas grand-chose à voir !

06) A l’inverse, est-ce vous avez pu prendre des libertés par rapport au jeu vidéo, et si oui, lesquelles ?

Non, pour le reste je n’ai pas eu de contraintes particulières. Il y a plein de choses que l’on ne trouve pas dans les jeux, comme des magies que j’ai inventés. J’ai eu carte blanche pour tout cela.

07) Et par rapport au chara-design de Akira Toriyama ?

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Bien que Toriyama ait fait le design original des montres, certains points n’avaient pas été imaginés, tel que le dos des monstres par exemple. Cependant, on m’a laissé complètement libre d’imaginer leur design ! J’avais donc peu de contraintes, même quand je devais inventer des éléments en me basant sur le style d’Akira Toriyama.

08) Quelles sont vos inspirations quand vous travaillez sur ce manga ? Est-ce que vous essayez de vous rapprocher du style d’Akira Toriyama, ou bien justement vous essayez d’intégrer beaucoup votre touche personnelle ?

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"Emblem of Roto" / "La quête de Daï"

J’essayais de me mettre à la place des lecteurs qui avaient envie de retrouver une certaine « patte » propre à Akira Toriyama, j’ai donc essayé de me rapprocher de son style pour répondre à l’attente des lecteurs.

09) Pour vous, quelles sont les différences entre les shônen d’aujourd’hui et ceux de l’époque d’ « Emblem of Roto » (années 80-90) ?

Je pense que le shônen actuel est destiné à un public plus âgé et ne correspond plus au seinen que nous avions à l’époque. Ce n’est pas un jugement de qualité, ce sont les éditeurs qui répondent à la demande d’un certain public, qui est plus vieux que celui que l’on pouvait avoir à l’époque.

10) Si on pense à des shônen encore plus anciens, comme « Devilman », qui était très adulte, est-ce qu’il y a eu un changement de ton vers un public plus jeune à partir des années 80 ?

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« Devilman » reste une œuvre très à part dans l’univers du shônen. A l’époque il y avait beaucoup d’œuvres shônen destinées à un public plus jeune. Traditionnellement, on estimait qu’un shônen devait avoir un temps de publication entre 3 et 6 ans puisqu’il évolue avec son public. Lorsqu’on estimait que ce public avait dépassé l’âge, on arrêtait la série.
Cependant, il y a toujours eu des shônen qui ont réussi à continuer d’être publié malgré cela : il fallait continuer à publier le titre tant que l’on vendait suffisamment de copies. Je pense que le shônen a changé parce qu’il y a des œuvres qui ont réussi à continuer malgré le passage d’une génération à une autre. Même si les lecteurs sont devenus adultes, ils continuent à lire le manga que l’on appelait shônen à l’époque, cela a entrainé un changement dans le public visé justement par le shônen manga.

11) En France, nous avons d’abord connu le manga « Dragon Quest » par la série « la quête de Daï » d’Akira Toriyama. Est-ce qu’au moment de sortir votre propre série, vous aviez une sorte de comparaison en tête ? Était-ce un modèle pour vous, ou bien vous avez essayé de vous en détacher ?

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Avant de travailler sur « Emblem of Roto », je n’avais jamais lu « la quête de Daï », mais une fois que j’ai commencé à travailler sur la série, j’ai voulu voir si je n’avais pas utilisé les mêmes choses. Comme nous avons le même univers de référence, je ne souhaitais pas que l’on retrouve les mêmes gags ou les mêmes histoires.

12) FFDream : Vous avez déjà été chara-designer pour des jeux vidéo (Ndlr : Grandia Xtreme, Terranigma ou E.V.O.: Search for Eden, entre autre) seriez-vous prêt à recommencer, et pourquoi pas pour un « Dragon Quest » adapté de votre manga ?

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Si on me le propose, ça sera avec plaisir, c’est un travail que j’aime beaucoup. En revanche, je pense qu’il y a peu de chance qu’une adaptation de « Emblem of Roto » voit le jour… cependant si cela se fait, pourquoi pas ! Le travail de chara-designer est bien plus simple que celui de mangaka, car une fois que j’ai fait mes personnages, je les livre aux développeurs du jeu et j’ai terminé, ce qui est beaucoup plus simple qu’un manga que je dois dessiner encore pendant des semaines. Mais travailler pour un jeu vidéo, c’est très bien, n’hésitez pas à m’appeler ! (rires)

13) Quelle serait votre classe de personnage dans un Jeu de Rôle ? Quel est le personnage dont vous vous sentez le plus proche dans « Emblem of Roto » ?

C’est une question compliquée ! Entre la classe que j’aimerais jouer ou celle que j’aimerais devenir, vous me posez une colle ! (rires) Est-ce que je suis dans un groupe ou pas, et qui est avec moi dans le groupe… Mais si je devais choisir, je pense que je choisirais la chose la plus éloignée de la réalité, donc un mage parce qu’on peut faire ce qu’on veut ! Dans « Emblem of Roto », ce sont aussi les personnages qui peuvent utiliser la magie que je préfère.

14) Est-ce vous avez le temps de jouer à des jeux vidéo encore aujourd’hui, notamment des RPG, et si oui, lesquels nous conseillerez-vous ?

Je joue toujours à la série « Dragon Quest », en ce moment je joue à un spin-off sur 3DS, et surtout à une application mobile : « Dragon Quest Monsters Super Light », et j’en suis extrêmement fan !

Merci à Victoire de Montalivet ainsi qu’à nos confrères présents lors de cette interview !

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